Portrait

Koukla MacLehose : toujours prête

photo olivier dion

Koukla MacLehose : toujours prête

Vingt-neuf ans après s’être improvisée scout à Londres, Koukla MacLehose a décidé de laisser plus de place à son associée. Elle se concentre désormais sur la littérature de langue française.

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Par Tristan de Bourbon,
Créé le 27.05.2016 à 02h30 ,
Mis à jour le 27.05.2016 à 09h09

Les livres sont empilés dans l’entrée, le long de chaque marche de l’escalier et dans les pièces du rez-de-chaussée. Ce n’est guère une surprise, cette demeure du nord de Londres est occupée par deux noms du monde de l’édition britannique, Koukla MacLehose et son mari Christopher. Elle est scout depuis vingt-neuf ans pour des éditeurs du monde entier, il publie depuis neuf ans sous son nom des livres étrangers en anglais, après avoir occupé pendant trente ans de hauts postes dans de prestigieuses maisons britanniques. "Je travaille évidemment de très près avec Christopher depuis notre mariage, il y a trente et un ans", sourit Koukla.

Petite poupée

Cette date marque également l’installation outre-Manche de cette Française habituée aux déplacements. De sa naissance en Grèce en 1946, elle a gardé son surnom Koukla, qui signifie "petite poupée", et perdu son prénom officiel, Hélène. Grâce à la carrière militaire de son père, elle vit ensuite à Offenburg en Allemagne puis à Rome et à Paris, avant de s’embarquer, une licence de lettres modernes en poche, pour Montréal, puis New York. Après quelques années dans la publicité, elle gère pendant dix ans à Paris les droits étrangers de Flammarion. Deux enfants et un divorce plus tard, elle rencontre donc Christopher et la vie londonienne.

"Un ami suédois m’a alors conseillé de devenir scout, raconte-t-elle. Je lui ai dit que c’était de la folie car je connaissais très mal la littérature contemporaine anglaise mais il m’a répondu : "Tout ira bien, tu connais les gens." Il avait raison. Etre scout, c’est être l’informateur d’un éditeur pour lui dire quels livres vont faire du bruit, quels sont ceux qui s’achètent et ceux sur lesquels il faudrait se pencher", précise-t-elle. Les éditeurs ne la rémunèrent pas à la commission mais la salarient. Elle préserve ainsi son indépendance de jugement.

Au fil des années, sa société s’agrandit. Elle parle cinq langues, en lit trois, et s’est associée avec deux femmes complémentaires, Yolanda Pupo-Thompson et Rebecca Servadio. Elles embauchent parallèlement toujours plus de lecteurs, eux aussi multilingues, afin de rédiger toujours plus de rapports destinés à leurs éditeurs et ainsi s’adapter au rythme toujours plus rapide du métier. Cette organisation leur vaut un succès certain : elles travaillent pour vingt-deux éditeurs internationaux, dont Gallimard et Denoël en France.

Koukla analyse avec un certain fatalisme l’évolution de l’approche éditoriale de ses employeurs. "Tout est beaucoup plus commercial qu’avant. On nous envoie surtout des histoires, peu de livres littéraires. Cela s’explique par le fait que ces derniers se vendent plus difficilement et, lorsque c’est le cas, ce n’est pas dans quarante-deux pays. En même temps, il suffit de regarder le passé pour voir que les auteurs qui restent sont des raconteurs d’histoires : Balzac, Tolstoï, Stendhal. Si tout le monde les connaît, des œuvres comme A la recherche du temps perdu ou Tristram Shandy ne sont pas autant lues qu’un Docteur Jivago ou un Comte de Montecristo."

Portes ouvertes

Cette tendance explique sans doute en partie sa mise en retrait, annoncée le mois dernier lors de la Foire du livre de Londres. Koukla MacLehose concentrera désormais son activité sur la littérature de langue française. "Le marché français est mon marché, clame-t-elle. Je suis française, je n’ai d’ailleurs jamais pris la nationalité britannique, je lis plus rapidement le français, je connais bien le marché contemporain et c’est mon pays. Je lâche donc le marché international car Rebecca avait envie de prendre les rênes de l’agence."

Le regard droit, elle admet "sans animosité" qu’elle a été "un peu poussée dehors". Mais "c’est une question d’âge, reconnaît-elle. Rebecca possède une énergie que je n’ai plus et court par monts et par vaux. Les éditeurs ont son âge. Et je vois apparaître des tendances qui ne me parlent pas, comme les livres et documents féministes venus des Etats-Unis, où des blogueuses nous expliquent comment vivre, parlent constamment de rapports de pouvoir. Soit je ne vois pas la vie comme cela, soit je trouve qu’elles enfoncent des portes ouvertes et n’apportent rien de nouveau." La plus expérimentée des scouts français n’a rien perdu de sa franchise.

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