Au début, il y a un homme qui tombe d’un train entre Zurich et Bâle. C’est un trader du nom de Paolo Contini. L’unique témoin de son probable suicide est Jonas Brand, un JRI (journaliste reporter d’images) d’une émission people. Brand est un type qui n’aime pas ce qu’il est devenu, un "money maker" vaguement cynique, un divorcé un peu triste, solitaire, incapable de renoncer tout à fait à ses ambitions artistiques premières, comme le prouve le vieux rêve qu’il caresse de porter à l’écran une adaptation contemporaine du Comte de Monte-Cristo sur fond de monde de la finance. Si "l’incident" ferroviaire semble avoir peu intéressé Brand, il le sera beaucoup en découvrant fortuitement qu’il est en possession de deux billets de 100 francs suisses rigoureusement identiques jusqu’au numéro de série et - ce qui paraît bien sûr absolument impossible - aussi authentiques l’un que l’autre. Intrigué, le journaliste mène l’enquête et non seulement découvre que ces deux événements ont partie liée, mais se retrouve au cœur d’un maelström terrifiant dont les arcanes vont l’entraîner, au péril de sa vie et de sa santé mentale, jusque dans les ramifications les plus secrètes et les moins avouables du système bancaire suisse, d’un pays tout entier comme innervé par le mensonge et la dissimulation. Jonas Brand aura-t-il le courage d’aller au terme de ses investigations ? Lui en laissera-t-on seulement le temps ou choisira-t-il plutôt le bonheur, c’est-à-dire l’amertume des compromis passés avec autrui et l’image de soi ?
Haletant thriller financier, "page-turner" d’une intelligence folle où la théorie du complot se présente en habits de fête, Montecristo marque le grand retour de Martin Suter au roman d’investigation métaphysico-policière. Les Allemands ne s’y sont pas trompés, puisque plus de 300 000 lecteurs l’ont plébiscité, non plus que le système bancaire de son pays d’origine qui a pu s’estimer mis en danger par les révélations du livre. Il est vrai que Suter s’y entend mieux que jamais en matière de mécanique narrative piégée. Montecristo, ce serait John Grisham réécrit par Friedrich Dürrenmatt. Le romancier, moraliste hédoniste, se plaît à exposer dans le moindre détail, et dans le plus pleinement politique de ses livres, comment et pourquoi l’ensemble du système qui nous fonde est bâti sur du sable avec la complicité passive de ceux qui en sont, dans le même temps, les premières victimes. Et comme, de toute façon, rien n’est moins réel que le réel immatériel de l’argent et du profit, la fiction devient entre les mains expertes de Suter une arme de destruction massive. O. M.