Grains de sable. « Déjà vu, déjà dit. » Quatre mots qui sonnent comme une sentence de mort. L'éditeur n'y est pas allé de main morte, plus qu'une gifle, c'est un coup de poignard. Le narrateur de Sur la plage, premier roman de Juliette Willerval, chancelle littéralement en essuyant le cinglant refus de son texte. Remis sur pied, il va droit dans un bar noyer sa peine. La vue d'une jeune femme brune, à la peau mate, l'en sort tout à coup. Il lui parle. Elle est d'un autre pays, d'une ville en bord de mer. Il y était allé il y a fort longtemps. C'était avec ses parents, il avait 6 ans, sur l'une de ces plages il s'était perdu. Le narrateur raconte son histoire, sans savoir bien la raconter, ses mots sont de mauvais filets - l'éditeur a peut-être raison -, il ne capte pas l'attention de la Lusitanienne... Qu'importe, le voilà parti pour Lisbonne, sur les traces de la belle inconnue et de ce moment d'enfance, un été où tout a basculé. Les parents s'entendaient bien apparemment. Le soleil, la mer, les corps dévêtus sur la plage, l'insouciance estivale avaient égaré les pas du garçon loin de la surveillance des grands, un homme l'avait ramené aux parents avec un air plein de reproches. De retour en France, son père quittait sa mère, fin du mirage de la famille, présence paternelle à jamais évanouie...

Dans le même temps que le narrateur traque son obsession présente, il rebrousse le chemin du passé jusqu'à la capitale portugaise et ce banc de sable où quelque chose de lui-même s'est abîmé. Errant dans le réseau des rues lisboètes, il voit tomber d'un sac un couteau. Le sac était porté par une silhouette qui s'est aussitôt fondue dans la foule. Il ramasse le couteau et court après l'homme inconscient de sa perte... Jeu de piste où des éléments a priori fortuits ricochent vers des images récurrentes chargées d'un sens mystérieux. L'arme blanche trouvée par terre rappelle ce jouet qu'il adorait, un faux poignard que son père avait gardé dans sa poche lorsqu'il l'a accompagné pour la dernière fois à l'école. Une librairie orange de son enfance trouve un écho dans cette librairie de Lisbonne où il aperçoit un livre au titre énigmatique Na praia (« Sur la plage »)... Et cette affaire de couteau a-t-elle quelque chose à voir avec l'homme qui l'a ramené à ses parents cet été-là ? Par petites touches successives, obsessivement répétées, le narrateur tente de dessiner la forme de ce « vertige de l'absence »- donner un visage à ce trouble qui aspire sa vie. La mémoire labile peine à reconstituer la totalité du tableau. Le rébus que nous livre Juliette Willerval est d'autant plus énigmatique qu'il est une partition servie par un phrasé entêtant, virtuose.