Avant-critique Roman

Politiser l'enfance. En mai 2027, l'Éducation nationale expérimente le vote des collégiens à l'élection présidentielle. Cette initiative imaginée par Juliet Drouar dans son roman Cui-Cui vient des luttes féministes qui se développent depuis les années 1990 pour les droits des mineurs. « On nous avait annoncé qu'on allait voter et ça a été panique à bord pour nous former à et nous instruire de notre propre histoire de conquête d'un nouveau droit pour nous qui n'avions pas de droit. »

Le personnage principal et narrateur qui donne son titre au roman, Cui-Cui, a 13 ans cette année-là. Timide, sauvage, introverti, il ne parle pas beaucoup. Sauf cette fois, à table, lorsque son père lui demande pour qui il va voter, même s'il préfère répondre ne pas vouloir voter plutôt que d'avouer son penchant politique pour Astride Diop face aux deux « cisra » (« racistes ») qui s'opposent à elle. Pendant une bonne partie du texte, Cui-Cui n'est pas nommé, Juliet Drouar montrant par là le brouillard et la dissociation permanente dans lequel il baigne. Son entourage le désigne au féminin, lui se pense au masculin. À la maison, il faut toujours être vigilant à ne pas contrarier le père : se taire est une technique que Cui-Cui a bien intégrée. La mère, quant à elle, se calque sur l'humeur du mari, sourde et aveugle.

Parallèlement au brouhaha autour des élections, le collège reçoit des intervenantes de l'association Tépégé, qui viennent parler de « tu sais quoi » avec les élèves, soit de consentement, de violences sexuelles sur mineurs et en particulier d'inceste. Ces rencontres poussent les professeurs à s'ouvrir aux manières d'accueillir et d'accompagner la parole des élèves, mais les incitent aussi à apprendre à mettre des mots sur ces violences, à pouvoir en parler et ainsi sortir de la gêne et du tabou qui empêchent de réagir. Depuis cette visite, Cui-Cui multiplie les crises d'angoisse, son eczéma se développe, sa discrétion notoire se transforme en une agitation aux formes parfois incohérentes. Sa professeure, Gisèle, se débat entre les institutions et leurs contradictions, les troubles de son élève et ses propres fantômes. « Sans guérison, les traumatismes engendrent l'explosivité, le déni - dont la violence n'a rien à envier à la force brute, la paranoïa et la dissociation qui nous éloigne de nos émotions, donc de notre boussole interne et de l'empathie envers les autres, car nous sommes absent.e.s à nous-mêmes. »

Juliet Drouar, auteur de Sortir de l'hétérosexualité (Binge, 2021) et coauteur de La culture de l'inceste (Seuil,2022), imagine un futur proche où les débats autour de la politisation des enfants se concrétisent de façon encore balbutiante grâce à l'élan donné par un collectif de personnes en lutte pour les droits des mineurs. « Nous voulons guérir nos relations aux autres et à nous-même pour nous lier autrement que dans la domination. »

Juliet Drouar
Cui-Cui
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782021566680

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