Comment s'est passé votre passage de L'inconoclaste à Phébus ?
A l’aide de ma formation de géographe et d’urbaniste, je sais observer les marges avec un profond réalisme. Cette objectivité m’a fait choisir Phébus. Ma nouvelle carte ici, ce sont les auteurs. En tant qu'éditeur, sans eux nous sommes rien. Sous l’effet d’une globalisation financière terrible et de jeux d’influence dominant, nous avons perdu le sens premier d’une maison d'édition. L’éditeur doit se battre sur tous les fronts par conviction pour ses auteurs. L’adversité conçue entre les maisons est telle que notre type de maison est un refuge. Quand certains veulent des auteurs-marques, nous voulons des auteurs heureux.
Quelle est votre ligne éditoriale ?
Je n’en ai pas ! Autrement, je serai surplombante vis-à-vis des auteurs. Chez Phébus, nous inversons les choses : l’éditeur est au service d’un talent. Je publie la littérature qui me plaît : romanesque, mais avec un pied dans le réel. Celle qui parle des tourments de l’humain dans une haute-narrativité. Un mélange entre le réel et la fiction. Je souhaite le mélange des genres littéraires pour apporter à la blanche un peu plus de singularité et que ce soit lisible par tous.
Comment accompagnez-vous vos auteurs ?
Je l’accompagne dans un jeu de miroir. Je lui pose des questions sur ce qu’il fait et ce qu’il veut faire. Si je sens une timidité pour aller vers un traitement ou vers un complément de texte, je lui demande de tenir ses rêves. C'est assez fantasmatique. Un auteur est dans l'hyperréalité, dans sa réalité. Je le pousse en fiction en permanence. Nous faisons dans l'hyperencadrement et l'hyperaffectivité.
Jérôme Chantreau, je veux le publier depuis la lecture de son premier roman Avant que naisse la forêt (Les Escales, 2016). Cela a été un coup de foudre. Il savait que je respectais sa fidélité à son éditrice, alors j’ai attendu. Quand il m’a proposé Bélhazar, c’était à moi de lui prouver que j’étais à la hauteur. Je pense que nous y sommes arrivés. En témoigne la cession historique pour le poche avec J’ai Lu. Pour Jean Hegland, j’ai vécu la même sensation avec son ouvrage Dans la forêt (Gallmeister,2017). J’ai une admiration inconditionnelle pour son travail. Pour la rentrée, j’ai cherché les livres qu’il y avait dans le catalogue et j’ai tout acheté. Une preuve de cette confiance mutuelle est son déplacement promotionnel de cinq semaines du 3 septembre au 10 octobre. Mon goût va aussi vers les ouvrages de légère anticipation. C’est pour ça que j’ai signé Eloi Audoin-Rouzeau avec Ouvre ton aile au vent.
Vous avez également retravaillé votre charte, pouvez-vous m’en parler ?
Nous proposons des couvertures très incarnées pour la rentrée littéraire. Celle d’Eloi Audoin-Rouzeau, par exemple, est poétique, non conceptuelle et narrative. En première de couverture nous avons une histoire qui se poursuit jusqu’à la quatrième. Le nom de l’auteur et le titre du livre vont ensemble
Quel sera votre rythme de parution en grand format, et en poche chez Libretto ?
Je ne serai pas forcément dans toutes les rentrées littéraires. J’y vais seulement par conviction. J’espère avoir une économie vertueuse et éviter d’avoir une déferlante de publications dans les librairies. Si j’arrive à une douzaine ou quinzaine de parutions en grand format, ce serait formidable. Chez Libretto, je pense à 20-25 livres. Pour le poche, je souhaite une revalorisation du fonds, des acquisitions dans des backlist, avec des inédits et des nouveautés comme Daniel Picouly, avec La victoire du nègre, ainsi qu’une sélectivité : qu’est-ce que nous conservons parmi nos 600 références.