À la fin des années 2020, dans une Allemagne dirigée par un gouvernement autoritaire, on parie sur le succès des start-up, dans un climat anxiogène lié à la suppression progressive des acquis démocratiques. Britta Söldner et son mari Richard forment un couple plutôt heureux. Mais Britta est secrètement rongée par des maux, crises de panique, nausées et insomnies... Prise dans une sorte de jet-lag existentiel, elle assène : « Tout le monde est perpétuellement en fuite, hommes et animaux. La fuite est notre état normal, si ce n'est que nous avons tendance à l'oublier. » C'est pourtant une battante : avec son ami Balak, un immigré irakien gay, elle a fondé une boîte très lucrative, baptisée Le Pont, dont la prospérité est assurée par le nombre croissant de citoyens suicidaires. Un logiciel repère ces derniers, en allant fouiner sur les réseaux sociaux et au cœur du Darknet. Une fois démarchés par Britta, les clients potentiels peuvent accepter de suivre une thérapie psychologique, qui fonctionne dans 95 % des cas. Ceux qui échouent se voient proposer une cause pour laquelle se sacrifier, histoire de donner un sens à leur mort. On apprend alors par toutes les télés qu'un baleinier norvégien vient d'être coulé ou que le bâtiment d'une institution antiféministe vient de sauter...

Britta s'arrange tant bien que mal avec son sens de l'éthique, même si elle a défini une charte pour minimiser la violence et les dégâts collatéraux. Elle estime même que son entreprise permet d'encadrer le terrorisme qui, selon elle, « fait régner une atmosphère de menace dans la juste mesure dont toute société a besoin ». Tout bascule lorsque deux jeunes gens perpètrent un attentat islamiste à l'aéroport de Leipzig. Elle ne les connaissait pas et comprend alors qu'elle a désormais de la concurrence. Elle et Balak sont espionnés et suivis, puis approchés par un mystérieux millionnaire qui n'est autre que le financeur d'un projet conçu par Richard. En même temps, une jeune fille paumée, Julietta, vient les voir avec l'envie d'en finir, tentée de se sacrifier pour la cause animale, mais également obnubilée par l'idée de décimer l'humanité. Menacés par un mystérieux groupuscule baptisé Empty Hearts, possiblement traqués par les services secrets, Balak et Britta se retrouvent en cavale tandis que Julietta, galvanisée par son projet de sacrifice, reprend paradoxalement goût à la vie... Tout en tentant de déjouer un complot, les trois fuyards écoutent en boucle la star du moment, Molly Richter, 12 ans, crâne rasé et voix de Joséphine Baker, qui chante : « Full hands, empty hearts/It's a suicide world, baby. » Par ailleurs auteure du remarquable roman La fille sans qualités, Juli Zeh pointe ici, entre farce inquiétante et thriller d'anticipation, l'insoluble contradiction d'une société qui s'échine à humilier et broyer des citoyens qui, en conséquence, se retourneront fatalement contre elle.