Francfort 2023

Juergen Boos : « Le marché des droits est toujours très actif »

Juergen Boos, le directeur de la Foire de Francfort, en 2023 - Photo Olivier Dion

Juergen Boos : « Le marché des droits est toujours très actif »

À la clôture de la 75e Foire du livre de Francfort, son directeur général dresse le bilan d'un rendez-vous perturbé par les tensions géopolitiques.

J’achète l’article 1.5 €

Par Jacques Braunstein et Éric Dupuy, Photos Olivier Dion à Francfort,
Créé le 22.10.2023 à 18h00 ,
Mis à jour le 23.10.2023 à 10h37

Livres Hebdo : À l’heure de boucler cette 75e Foire de Francfort, regrettez-vous votre prise de position sur l’autrice palestinienne Adania Shibli, qui a entraîné une polémique et le boycott d’une grande partie du monde de l’édition des pays musulmans ?

Juergen Boos : Juste après l’attaque en Israël, nous avons eu beaucoup de discussions avec les éditeurs d’Adania Shibli… Nous avons tous été d’accord sur le fait qu’elle était une intellectuelle et qu’il ne fallait pas réduire son œuvre au champ politique. Elle-même nous a signifié qu’elle ne souhaitait pas de récupération politique, et voulait qu’on parle d’elle à travers son œuvre et pas autrement. Je ne pouvais pas le lui assurer. Et puis, je savais ce qu’il allait se dire en Allemagne si quelqu’un lançait l’idée que notre décision de lui remettre le prix était antisémite, et je ne voulais pas en entendre parler. Nous avons donc reporté la remise du prix, et c’est une décision que je maintiens encore aujourd’hui pour sa protection.   

Cela a fait que de nombreuses délégations de pays musulmans ont annulé leur venue cette année.

C’est un moment de tensions extrêmes avec des réactions à chaud. J’espère que les choses s’apaiseront rapidement.

Malgré le contexte géopolitique tendu, la foire a suivi son cours, concentrant tous les enjeux du secteur à travers la planète. Quels sont ceux que vous avez pu observer cette année ?

Cette foire existe à différents niveaux. Nous avons une foire pour le public allemand et une foire professionnelle tournée vers le marché international. Nous avons vu cette année la plus grande délégation chinoise et la plus grande délégation indienne de notre histoire. Les deux plus grands pays du monde augmentent leur présence, et c’est une bonne chose. D’un autre côté, les marchés européens sont en consolidation. Ce sont des marchés matures qui subissent une instabilité, ressentent une insécurité envers l'avenir. Les éditeurs parlent beaucoup des enjeux de l'intelligence artificielle et de son impact sur leur métier. Il y a du lobbying autour de son cadre légal à Bruxelles pour nous protéger des Gafam.

« Les questions autour de l’IA devraient nous occuper quelques années... »

C'est une menace, car ils prennent les contenus des créateurs sans les payer pour générer des millions de revenus. Mais l'intelligence artificielle peut également être une opportunité de réduire les coûts dans l'édition. L'an passé, les traducteurs ont commencé à parler d'IA, mais ils étaient un peu les seuls. Et l'exemple de la traduction montre qu'il ne s'agit pas de contenus de qualité... Quand je suis devenu éditeur il y a 30 ans, on parlait de fonctions distribution, texte, correction mais aussi de fonction qualité. Et ça ne marche pas comme ça avec l'IA. Qui la contrôle ? Doit-on utiliser des IA pour contrôler le travail des IA ? Ces questions devraient nous occuper quelques années.

Les marchés semblent de plus en plus segmentés, voire spécialisés. Comment appréhender ces mutations profondes du secteur ?

Il y a des marchés matures, des marchés émergents et ceux que l'on pourrait qualifier de « classe moyenne ». Des marchés qui sont en voie de distinction, comme l'expliquent Pierre Bourdieu ou Didier Eribon à propos des individus. Et c'est ce qui se passe sur les marchés émergents, avec une différenciation progressive qui suit les progrès de la lecture.

Quand TikTok est apparu, c'était pour le jeune public. Mais ce public grandit et y reste fidèle. Et l'application souhaite se positionner de plus en plus comme un service pour l'industrie de l'édition. Ils vendent déjà des chaînes aux éditeurs en BtoB... Dans certains pays, ce sont déjà les plus gros vendeurs de livres, tant ils sont forts sur la fantasy, la romance et tous les genres new adult. Sur certains marchés, le livre numérique représente déjà 30 à 50 % du marché.

Et la lecture devient, via leur plateforme, un phénomène communautaire. Les gens échangent sur les personnages. J'ai été chez Yuewen, en Chine ; leurs bureaux sont impressionnants. Ils publient des histoires par épisodes sur leur application et les déclinent en livres, en films, en séries, en dessins animés, en jeux...

Avez-vous un retour de données sur les tractations qui sont opérées lors de la foire ?

On essaie d'établir des statistiques de ce qui se vend à la Foire de Francfort, mais personne ne souhaite que le marché soit plus transparent. Je peux juste compter les gens qui sont là et voir ceux qui échangent le soir à l’hôtel Frankfurter Hof. Le marché des droits me semble donc très actif !

À propos de données, le SNE français travaille actuellement sur le projet Booktracking. Avez-vous lancé pareil chantier en Allemagne ?

On travaille beaucoup à digitaliser l'industrie de l'édition. C'est important en Allemagne, où une société fournit de nombreuses métadonnées. Et nous aidons les éditeurs d'autres pays à le faire en fournissant des formations. La France et l'Allemagne sont à la pointe. Mais l'Italie, par exemple, est très en retard... et d'autres pays n'ont encore rien mis en place. Il n'existe pas de standard international pour l'instant. Mais nous devons en savoir plus sur ce qu'on vend et qui le vend, et dans quel type de rayons.  

Les dernières
actualités