Interview

Joyce Maynard : « Le public français est très important pour moi »

Joyce Maynard

Joyce Maynard : « Le public français est très important pour moi »

La romancière américaine a publié en cette rentrée L’hôtel des Oiseaux (Philippe Rey) qui figure parmi les romans étrangers préférés des libraires d’après le palmarès Livres Hebdo qui sera révélé, en sa présence, jeudi 21 septembre au Centre national du livre. Interview.

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Par Propos recueillis par Jacques Braunstein
Créé le 20.09.2023 à 15h39 ,
Mis à jour le 13.10.2023 à 16h09

Votre livre est plébiscité par les lecteurs et les libraires français, que ressentez-vous face à cela ?
Ce livre occupe une place très particulière pour moi. Et c’est très important de voir que le public français ressent une connexion avec mes personnages et les comprend, bien que je sois américaine et que je n’écrive pas en français… Cela m’a beaucoup touchée, alors qu’aucun éditeur américain ne voulait publier ce livre, que Philippe Rey ait tout de suite répondu qu’il sortirait le livre quoi qu’il en soit. Depuis, un petit éditeur a accepté de le publier aux États-Unis. Je ne veux pas en dire plus sur son catalogue… mais je voulais que mes compatriotes puissent lire mon livre.

Pourquoi L’hôtel des Oiseaux n’a-t-il pas été publié aux États-Unis par votre éditeur habituel ?
Je n’ai pas de problème avec les lecteurs, le problème ce sont les « gate-keepers », les gens qui décident dans les maisons d’édition de ce qui peut être publié. Le roman American Dirt de Jeanine Cummins, également publié en France par Philippe Rey, a changé le paysage. Ce livre sur une mexicaine victime des cartels a été célébré, puis l’autrice a été mise en cause par des écrivaines d’origine latino-américaine qui écrivent sur le même sujet et n’ont pas le même retentissement…
Je suis assez âgée pour me souvenir de l’époque où il y avait très peu de voix de la diversité publiées. Et c’est un changement important que tous les écrivains ne soient plus des blancs avec le même background culturel… Mais je ne peux pas me résoudre à n’écrire que des histoires qui se situent aux États-Unis et dont les protagonistes sont des femmes blanches de Nouvelle Angleterre. J’ai raconté ces histoires, mais j’en ai d’autres à raconter. D’ailleurs L’hôtel des Oiseaux n’est pas écrit du point de vue d’une femme latino… Mon point de vue est celui d’une femme blanche, d’une américaine qui sait pertinemment qu’elle ne fait pas partie de la culture du lieu où elle réside.

Vous passez vous-même beaucoup de temps en Amérique centrale, au Guatemala je crois, et cela a beaucoup influencé l’écriture de L’hôtel des Oiseaux.
J’ai commencé à y vivre régulièrement en 2001, dans une cabane en Adobe au bord du lac où j’écrivais… Et puis j’ai commencé un workshop d’écriture pour les femmes. Pour aider des femmes ordinaires, pas des écrivaines, à raconter leur vie. Et j’y étais en mars 2020, quand la pandémie s’est déclenchée. L’aéroport a fermé et les femmes qui étaient là ne pouvaient plus repartir. J’ai proposé à deux d’entre elles d’emménager chez moi pour quelques semaines. Cela a duré six mois. Même lorsque nous n’étions plus bloquées c’était le meilleur endroit ou être. Le jardin, les fruits, le lac pour nager… Et nous sommes devenues très proches. Je finissais le livre Où vivaient les gens heureux et chaque soir après le diner je leur lisais les pages que j’avais écrites ce jour-là. Et puis j’ai terminé ce roman et elles m’ont demandé : « Et maintenant ? » Alors j’ai commencé L’hôtel des Oiseaux. C’est une des raisons pour lesquelles les chapitres sont très courts. Pour pouvoir en lire un chaque soir.

"D’habitude on s’inspire de sa vie pour écrire ses livres, cette fois, mon livre a inspiré ma vie"

Quelles étaient vos relations avec la population locale durant cette période ?
Le village est assez pauvre, et comptait beaucoup sur les touristes. J’étais l’une des dernières nord-américaines présentes. On a commencé à collecter de l’argent pour que les habitants puissent acheter du riz… Mais ce n’était pas une solution. J’ai donc décidé d’engager une vingtaine d’hommes pour construire une guest-house. Et quand ils ont eu fini, je leur ai demandé d’en construire une autre, et puis… à la fin il y a six guest-houses. J’ai dépensé toutes mes économies, et c’est seulement là que je me suis demandé ce que j’allais faire de ces maisons. J’ai donc créé un hôtel : Casa Paloma. D’habitude on s’inspire de sa vie pour écrire ses livres, cette fois, mon livre a inspiré ma vie.

Si l’on adopte les catégories en cours de nos jours aux États-Unis, votre héroïne peut passer pour une sorte de « sauveur blanc » pour la communauté dans laquelle elle évolue.
On peut en parler. Comme mon héroïne, je suis fière d’avoir construit un petit endroit qui honore les traditions et la culture locale. Et aussi que ça permette à certains habitants de travailler sur place. Aucun d’entre eux ne me voit comme un sauveur blanc, je suis leur employeur. Et même pas leur patronne.  Avant, si l’un d’entre eux se blessait, les patrons réglaient les frais d’hôpital. Je ne fais pas ça. Je m’efforce de les payer suffisamment pour qu’ils puissent prendre une mutuelle, et qu’ils soient autonomes sur ce plan comme sur d’autres. J’essaie, comme mon personnage, de proposer du tourisme responsable.

Finalement votre livre parle de sororité et de résilience ?
Au États-Unis le terme « sorority » évoque les clubs fermés de filles de famille des grandes universités de la côte Est, on parlerait plus de « sisterhood ». Mais oui, c’est l’un des thèmes du livre. La mère de mon héroïne était très naïve, et pas si politisée qu’elle le croyait, elle aimait jouer de la guitare folk, et elle cherchait à se débarrasser de sa fille. C’est comme ça qu’elle s’est retrouvée avec des gens très privilégiés qui jouaient à la révolution et fabriquaient des bombes, mais pas très bien… Heureusement la grand-mère d’Amalia va s’occuper d’elle après ce premier drame. Et quand elle subira une seconde tragédie, elle rencontrera Leila qui l’accueille dans son hôtel. Elle trouve là le bon endroit pour se reconstruire.Mais ce n’est pas le paradis, d’autres problèmes se présentent. Comme le dit Leila : « Même au jardin d’Eden, il y a des serpents. » Dans la vie des choses terribles arrivent, mais je suis optimiste, ça m’intéresse de raconter comment les gens y survivent. J’ai moi-même vécu des choses terribles comme la plupart de ceux qui parviennent à mon âge [Joyce Maynard est aujourd’hui âgée de 69 ans, ndlr]. La résilience m’intéresse, c’est l’un des thèmes profonds de mon travail… Je voulais emmener mon personnage tout au fond et voir comment elle pouvait remonter la pente. En fait, ce livre est un peu un conte de fée, bien plus en tout cas que bien d’autres livres que j’ai écrits. Il n’est pas très réaliste, c’est mon hommage à Gabriel Garcia Marquez et au réalisme magique.

 

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