Livres Hebdo: Vous êtes monté sur scène vendredi soir pour une lecture musicale avec Danny Manners et Louis Philippe avec lesquels vous avez fait l'album 9th & 13th. Comment vivez-vous ces apparitions en public ?
Jonathan Coe : Les écrivains sont de plus en plus sollicités pour faire des représentations. C’est une idée qui m’a toujours semblé un peu étrange car, d’après moi, l’auteur et le lecteur sont unis dans une relation silencieuse qui s’établit à travers le livre. Faire des lectures seul en public, je trouve ça un peu ennuyeux. Associer les mots et la musique sur scène est donc pour moi une façon de rendre ces apparitions publiques plus intéressantes, et je m’estime vraiment chanceux de connaître deux musiciens comme Danny et Louis avec lesquels j’ai une grande complicité artistique. J’aime leur musique, ils aiment mes écrits, et les deux vont très bien ensemble.
LH: Vous avez joué avec de nombreux groupes comme The Peer Group, Wanda and the Willy Warmers… Quelles sont les collaborations musicales qui vous ont le plus marqué?
JC: Sans aucun doute celle avec Danny et Louis. J’ai aussi travaillé avec des musiciens de jazz et avec le groupe The High Llamas avec lequel j’ai écrit une pièce très élaborée qui dure une heure et mobilise un groupe entier, trois acteurs ainsi que six musiciens. Comme tout cela revient très cher, nous ne l’avons jouée que six ou sept fois.
LH: Plus jeune, avez-vous hésité entre la carrière de musicien et celle d’écrivain ?
JC: Oui, jeune, je voulais vraiment être musicien, c’était pour ainsi dire mon ambition. Je jouais de la guitare et du clavier. Mais je n’ai jamais été très doué pour démarcher ou pour me vendre. Pour l’écrivain, c’est relativement simple : tu écris un livre, tu le mets dans une enveloppe, tu l’envoies à un éditeur, il dit "oui" ou il dit "non". C’est aussi la raison pour laquelle je n’écris pas beaucoup pour les films : je n’aime pas les négociations, les réunions, les contrats… J’aime que les choses soient aussi simples que possible.
LH: Aujourd’hui, comment jonglez-vous entre ces deux passions ?
JC: J’écris toujours de la musique et je fais des enregistrements à la maison, juste pour m’amuser. Mais aujourd’hui, je suis un peu plus intéressé par l’idée de laisser d’autres gens écouter ce que je fais, car la technologie a tout changé dans la diffusion de la musique. Plus besoin de contrat avec une maison de disque, plus besoin de faire un album, il suffit de mettre sa musique en ligne.
LH: Avez-vous un exemple récent qui illustre la façon dont la musique nourrit la fiction dans vos œuvres ?
JC: Dans mon dernier livre, Expo 58, il y a une scène où Thomas, le héros, et Emily vont à un concert de musique classique. Ils écoutent un morceau d’Arthur Honegger, Pastorale d’été, et la musique les rapproche, crée une connexion entre eux. C’est un moment-clé du roman. Cette musique, que je décris avec minutie car je voue une grande admiration à Honegger, je l’ai entendue dans ma tête tout le temps que j’écrivais ces scènes. Ce morceau a inspiré de façon très claire et très directe toute cette partie du livre.
LH: Nous écoutons tous de plus en plus de musique avec nos mp3, que ce soit dans la rue ou dans les transports en commun, par exemple. Que pensez-vous de cette habitude des temps modernes?
JC: Je suis impressionné par la quantité de musique que les gens écoutent de nos jours. J’aime la musique, j’en écoute énormément, notamment dans le train et avant d’aller dormir, où je sélectionne un mode de lecture aléatoire pour être surpris par les morceaux…
LH: Trop de musique ne nuit-il pas à la perception du monde réel et donc à l’inspiration ?
JC: Parfois, la musique favorise l’inspiration, d'autres fois elle la freine. Si nous mettons nos écouteurs pour marcher dans la rue, alors nous n’entendons même plus le son du reste du monde…Par ailleurs, écouter de la musique partout et tout le temps, ça la dévalorise. Elle est réduite à un simple bruit de fond.
La playlist idéale de Jonathan Coe :