21 août > roman France

De Dominique Fabre, on a aimé d’emblée l’univers et la musique avec Moi aussi un jour, j’irai loin (Maurice Nadeau, 1995, repris en Points). L’histoire poignante d’un chômeur qui traîne, rumine, essaye d’y croire encore même si, à 43 ans, il sait que l’essentiel appartient au passé. Dominique Fabre a ensuite continué à creuser son sillon avec La serveuse était nouvelle (Fayard, 2005) ou avec Il faudrait s’arracher le cœur (L’Olivier, 2012, repris en Points). Avançant toujours sur une ligne qui le relie à Emmanuel Bove et à Patrick Modiano, il publie l’un de ses plus beaux livres.

Le narrateur de Photos volées se nomme Jean. Il s’agit d’un type qui ne parle pas beaucoup mais qui écoute bien, "la plupart du temps". Il habite seul à Asnières, un deux-pièces assez grand. Jadis, Jean a été marié avec une femme dont il n’a pas eu d’enfant. Hélène s’est ensuite remariée avec un autre, a eu des enfants. Jean, lui, bavarde grâce à Internet avec des femmes qu’il ne connaît pas. Il a été photographe, a travaillé pour une mairie de banlieue. Maintenant, il bosse dans une société d’assurance, huit heures par jour dans un bureau à la Chaussée-d’Antin. Parfois, il lui arrive de déjeuner avec un ancien collègue installé dans le Sud depuis sa mise à l’écart de la boîte, quand celui-ci monte à Paris.

Son quotidien vacille quand il retrouve une amie d’antan qu’il n’a pas revue depuis longtemps, un soir d’automne rue de Rivoli. Ils avaient 20 ans à l’époque, ils en ont plus de cinquante aujourd’hui. Nathalie a vieilli "en bien". Elle a toujours les mêmes cheveux bruns. La même peau laiteuse, le même sourire. Elle a divorcé deux fois, deux enfants, partage depuis trois ans sa vie entre Neuilly et Londres avec le dénommé Orson. Devant un verre à la brasserie Zimmer, les souvenirs remontent. Les engueulades, les cris, les bruits d’assiettes cassées.

En plus de Nathalie, Jean va retrouver d’autres amies de la banlieue ouest, Thierry et Elise, psychologue de métier, qu’il a aimée et tant photographiée. Tous ne sont pas nés de la dernière pluie, savent que le monde tourne très bien sans eux, "en vérité"

Dominique Fabre, dont Fayard propose également un recueil de poésie, Je t’emmènerai danser chez Lavorel, prend son temps. Il installe page après page une atmosphère d’une grande mélancolie et on ne peut qu’être touché par le portrait de Jean ; un homme qui se demande où vont les journées dont on ne garde rien en mémoire et qui marche dans les rues sans connaître sa destination, qui commande un demi dans un café du bas de la rue de Rome. Jean a beaucoup attendu dans son existence et il va lui falloir encore patienter lorsqu’il se rend à Pôle emploi après avoir été licencié, prendre un ticket et attendre son tour.

Alexandre Fillon

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