Hors-série

Jeunesse: Comment parler aux petites filles

salon du livre de jeunesse de montreuil - salon du livre de montreuil 2005 - salon du livre de montreuil 2005 - Photo Olivier Dion

Jeunesse: Comment parler aux petites filles

Suite à la vague #MeToo mais aussi à des polémiques sur les réseaux sociaux, les éditeurs de livres pour la jeunesse se demandent comment parler aujourd'hui aux filles mais aussi aux garçons, et plus généralement comment aborder les questions du féminisme, du genre et de la diversité.

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Par Claude Combet,
Créé le 27.11.2019 à 17h16

Les grandes capacités d'adaptation du livre de jeunesse, en perpétuelle mutation pour un public par essence changeant, sont la raison du succès du secteur. Le rayon a encore tiré le marché en 2018 et reste deuxième juste derrière la BD depuis le début d'année selon les données Livres Hebdo/Xerfi/I+C pour. Or, depuis le mouvement #MeToo et le renouveau du féminsime, le secteur comme le reste de la société fait le constat qu'on ne s'adresse plus aux petites filles - et aux petits garçons - de la même façon.

Marion Jablonski, Albin Michel jeunesse- Photo OLIVIER DION

Les éditeurs interrogés sont unanimes : l'époque des collections « girly », en vogue il y a dix ans, a fait long feu. « Nous avons été envahis par des couvertures roses, des paillettes, des histoires de groupes de filles dans une ambiance de harem. Il faut se démarquer du caractère induit par le genre. Nous sommes plus vigilants qu'avant et nous voulons éviter de véhiculer des clichés de génération en génération », témoigne Marion Jablonski, directrice d'Albin Michel Jeunesse. « J'ai sûrement publié des choses que je ne publierai plus aujourd'hui. Je réagirai différemment par rapport à la société car les mentalités et les sensibilités ont changé », renchérit Emmanuelle Beulque, éditrice des albums de Sarbacane. « La lutte contre la discrimination et la façon de parler aux filles et aux garçons sont mes chevaux de bataille depuis que j'ai créé la maison en 2005 », souligne Laurence Faron, fondatrice de Talents hauts. « Enfant, j'étais une grosse lectrice et j'avais conscience que le neutre était un garçon, jamais une fille. Je n'avais le choix qu'entre la coquette, le garçon manqué ou l'intello à lunettes. Yoko Tsuno et Fantômette étaient avant tout agréables à regarder, avec leurs petits justaucorps. J'avoue aussi une allergie au personnage de gamine délurée en salopette avec des couettes. Si nous voyons arriver lentement des personnages féminins neutres, nous en sommes encore loin », raconte Anaïs Vaugelade, auteure et éditrice d'albums à l'École des loisirs.

Emmanuelle Braine-Bonnaire, Fleurus- Photo OLIVIER DION

Martine s'émancipe

La vague #MeToo et la prise de parole féminine ont cependant contribué à faire sortir les filles du bois. Les femmes qui ont fait l'histoire sont mises en avant, répondant ainsi à une demande des lectrices. Les deux volumes des Histoires du soir pour filles rebelles, d'Elena Favilli et Francesca Cavallo (Les Arènes), best-sellers mondiaux, ont compté énormément pour l'éducation des jeunes. Pour preuve, Les inventrices et leurs inventions, d'Aitziber Lopez, illustré par Luciano Lozano, est la meilleure vente des Editions des éléphants cette année, dépassant les 1 000 ventes selon GFK. Chez Albin Michel, Karine Van Wormhoudt a lancé « Destins » avec des biographies de Katherine Johnson, Marylin Monroe, Simone Veil. Chez Gallimard Jeunesse, la collection « Grandes vies » compte des biographies de Frida Kahlo, Marie Curie, Anne Frank, Maya Angeloui, Simone Veil, comme le volume Femmes, 40 combattantes pour l'égalité, de la collection « Bam ! ». Chez Rageot, la petite héroïne de Salomé et les femmes de parole, cherche les femmes célèbres. L'éditeur annonce début 2020 la biographie non officielle de Greta Thunberg. Parallèlement Laurence Faron chez Talents hauts a lancé une collection grand public de textes classiques oubliés écrits par des femmes, « Les plumées ». Et les six auteures de La revanche des princesses (Poulpe fictions) tordent joyeusement le cou à tous les clichés sexistes.

Alice Liège, Gallimard- Photo OLIVIER DION

Si Fleurus n'a pas renoncé à ses collections « P'tite fille » (qui n'est plus alimentée par des nouveautés) et « P'tit garçon », l'éditeur a arrêté le Dico des filles pour le remplacer par une collection mixte « Ramdam », ressemblant à un magazine, plus proche des codes actuels. Même les classiques évoluent avec leur temps. Casterman a fait entièrement réécrire les 60 Martine, née en 1954, « pour gommer les stéréotypes » sans toutefois toucher aux illustrations. Ainsi Martine, petite maman a été rebaptisé Martine garde son petit frère. « Nous avons rendu à Martine une sorte d'atemporalité. Nous n'en avons pas fait une héroïne de 2019 ni un parangon du féminisme. Nous l'avons sortie d'une assignation » explique Céline Charvet, directrice éditoriale jeunesse de Casterman.

Marie Bluteau, La Martinière jeunesse- Photo OLIVIER DION

Les éditeurs recherchent des univers mixtes comme Géronimo Stilton ou « 30 minutes pour survivre » (sur le foot) chez Albin Michel. « L'aventure, l'audace et la bataille sont au cœur de l'œuvre de François Roca et Fred Bernard. Ils ont créé des héroïnes comme Uma qui cherche à sortir de son statut de petite fille conditionnée », ajoute Marion Jablonski. En Poulpe fictions, des ouvrages comme Treize Martin à Noël, de Sophie Marvaud ou Wicca, de Marie Alhinho, avec deux sorciers, « un garçon dans l'empathie et une fille à la puissance tellurique » bousculent les codes. Quant au prochain livre de Marie Pavlenko, Et le désert disparaîtra, Céline Dehaine, directrice de Flammarion Jeunesse le décrit comme « une fable écolo et féministe qui parle de rébellion, de refus des traditions patriarcales et d'espoir ».

Anaïs Vaugelade,l'Ecole des loisirs- Photo OLIVIER DION

Eliott danse et cuisine

Pour ne pas tomber dans les clichés inverses et avoir systématiquement des héroïnes fortes, les éditeurs travaillent aussi la représentation des garçons. Albin Michel lance en février un nouveau héros, Arnaud, d'Annie Jay, qui évolue en 1555 dans le milieu des alchimistes. « Nous pouvons nous réjouir de cette prise de conscience par le plus grand nombre, souligne Thomas Dartige, responsable éditorial des documentaires de Gallimard Jeunesse. L'essentiel est que l'égalité hommes-femmes progresse dans la réalité et de manière durable. Ce n'est pas encore gagné et ça passe aussi par l'éducation des garçons ». Ainsi, Eliott, le héros des petits, ne fait pas du foot mais de la danse africaine et cuisine avec son papa. « La demande parentale est moins stéréotypée qu'avant. Les parents sont en attente d'ouvrages pour les jeunes enfants qui soient moins assujettis à une forme d'assignation », renchérit Agnès Saal. Pour la haut fonctionnaire à la diversité et à l'égalité au sein du ministère de la Culture, il s'agit dans un premier temps de faire prendre conscience des stéréotypes : la place du père dans la famille, le foot pour les garçons, la figure maternelle rassurante, un chevalier aventureux, une princesse peureuse ou mièvre. Pour La Belle et la Bête, de Carole Martinez, illustré par Violaine Leroy, Alice Liège, directrice littéraire petite enfance chez Gallimard Jeunesse, déclare « avoir évité le stéréotype de la princesse aux cheveux longs ». Les manuscrits qu'elle reçoit restent cependant souvent plein de clichés, notamment dans les rôles assignés à la mère et au père, ce qui la « choque plus qu'auparavant ».

Celine Ottenwaelter, Seuil jeunesse- Photo OLIVIER DION

Tout est une question d'équilibre : l'une des deux héroïnes de la série Rosewood chronicles, de Connie Glynn (Casterman) rêve d'être princesse et l'autre n'en a pas envie, et « joue sur ce qu'on veut être, en faisant exister toutes les représentations ». « Notre documentaire sur les sportifs comporte autant d'hommes que de femmes, comme la nouvelle édition du Grand imagier du football, après la coupe du monde féminine de football, précise Emmanuelle Braine-Bronnaire, responsable des documentaires de Fleurus. Il faut savoir garder un équilibre sans tomber dans l'excès inverse. » Le documentaire Les combattants. 30 personnes qui ont changé le monde, fait coexister quinze hommes et quinze femmes. Rageot a lancé en octobre une version mixte des « Mystères dont vous êtes le héros » pour toucher tous les publics. Les filles peuvent le faire aussi. Les garçons peuvent le faire aussi, un album tête-bêche chez Gründ Jeunesse, a la même ambition d'enseigner aux 3-6 ans qu'un garçon peut porter du rose et une fille jouer au foot. De la même façon L'encyclopédie de la danseuse est devenue L'encyclopédie de la danse (Gründ jeunesse). « La dernière page du Permis d'être une enfant, de Martin Page, illustré par Ronan Badel montre des jeux mixtes dans la cour de récré, un garçon qui saute à la corde, une fille qui joue au ballon. Mais il ne faut pas forcer un trait qui n'existe pas », explique Alice Liège.

Ne pas véhiculer des stéréotypes, ouvrir sur le monde et sur la diversité, tel est le credo des éditeurs. Laurence Faron reconnaît que les débats actuels ont fait « prendre conscience que le diable se cache dans les détails, comme la représentation systématique d'une famille hétérosexuelle, bourgeoise, éduquée, blanche. Il faut faire de la place dans les livres pour les autres familles parce qu'elles existent », commente-t-elle. « Nous évitons les modèles dominants, nous refusons aussi les clichés sur les personnages secondaires et veillons à varier les représentations. La traque se fait dans les moindres détails », renchérit Manon Sautreau, éditrice de Poulpe Fictions.

Seins, ventre, poils

Laurence Faron note aussi une évolution dans les sujets abordés comme les réfugiés, l'émigration, l'écologie, le féminisme, jusque-là considérés comme « inaccessibles aux enfants ». Rageot publiera un recueil de témoignages avec le magazine Causette dans lesquels les auteurs engagés parlent du physique : des seins, du ventre, des poils... Cheveux et autres poils, de Morgane Soularue et Camille de Cussac (Gallimard Jeunesse) aborde aussi ce sujet au cœur des préoccupations des adolescents. Des sujets épineux à aborder qui peuvent provoquer des polémiques sur les réseaux sociaux comme pour On a chopé la puberté !, que Milan a dû retirer de la vente (1). La prise de conscience est réelle. Pour son séminaire, Hatier a fait venir Patrick Scharnitzky, auteur des Stéréotypes en entreprise (Eyrolles), qui a donné des pistes aux éditeurs scolaires et jeunesse du groupe. Rageot a aussi rencontré le Centre Hubertine Auclert, qui intervient en Ile-de-France auprès des jeunes sur l'égalité des sexes et analyse ouvrages, manuels et romans. « Il y a cinq ans, nous nous sommes réunis pour étudier les représentations que nous véhiculions dans nos livres » dévoile Marianne Durand, directrice de Nathan Jeunesse. « Un des enjeux majeurs de la production éditoriale à venir est de rendre compte de l'autre, qu'il soit en situation de handicap, d'un sexe différent, d'une autre origine, d'une autre orientation sexuelle », déclare Agnès Saal. Syros a publié en octobre l'album de Jean-Loup Felicioli, Je suis Camille, l'histoire d'une petite fille née dans un corps de garçon. « L'enjeu est aussi de sortir de sa condition. Nous avons publié Sortir d'ici, de Renée Watson, mettant en scène une jeune noire qui arrive dans un lycée blanc huppé, dans la lignée de The hate you give », souligne Céline Charvet, directrice de Casterman Jeunesse, qui se fait aussi l'écho des mouvements LGBT avec le guide sur l'identité sexuelle, Je suis qui, je suis quoi

Les éditeurs français sont toutefois encore éloignés des pratiques des éditeurs américains, qui ont recours aux « sensitivity readers » traquant dans les textes les éléments « politiquement incorrects » (2). « Aujourd'hui, je republierais Twilight sans état d'âme alors qu'il met en scène une relation sadomasochiste dérivée de Fifty shades of Grey. Les jeunes filles qui écrivent sur Wattpad s'adressent à leurs pairs. Il faut les laisser s'exprimer » déclare Cécile Terouanne, directrice d'Hachette Romans, qui prépare un gros projet « sur une gynocratie, une révolte lycéenne ». « Nous avons la chance en France de parler très librement et d'aborder beaucoup de sujets, ce qui permet aux enfants de trouver des modèles qui ne leur ressemblent pas », constate Céline Ottenwaelter, responsable éditoriale pour le Seuil Jeunesse. « J'ai envie de travailler sur l'écologie, l'engagement, le politique, le civisme, pour que La Martinière Jeunesse redevienne un éditeur engagé », explique l'éditrice Marie Bluteau, qui a publié Secrets de sorcière, un hymne à la solidarité et au courage. Avant tout, elle cherche « à faire émerger des voix, graphiquement et littérairement, plus engagées parce que c'est là qu'on va attraper les adolescents », note-t-elle en s'appuyant sur les bonnes ventes de Discriminations, d'Emma Strack (réimprimé trois fois) et de Ces jeunes qui changent le monde, de Julieta Canepa. « L'édition pour la jeunesse est le secteur où il y a le plus d'innovation et de risque. Il fut un temps où parler de ces sujets était une prise de risque, aujourd'hui, c'est une demande des adolescents eux-mêmes, notamment sur la question du genre », précise Thierry Magnier, directeur du pôle jeunesse d'Actes Sud et Président du groupe jeunesse du Syndicat national de l'édition.

Un peu de légèreté

Les éditeurs américains ont mis en place le BAME (Black-Asian-Minority-Ethnics) afin de mettre en scène toutes les races : c'est le label créé par Dialogue Books (Little, Brown, Hachette UK), avec un catalogue entièrement dédié, albums et romans. « Cette question des genres et de la diversité vient des Anglo-Saxons. Nous avons l'impression que nous étions ouverts mais le phénomène m'a surprise et m'a obligée à me remettre en question », remarque Emmanuelle Beulque. « Nous en parlions entre éditeurs du groupe et nous constations que nos romans et nos albums manquaient de diversité alors qu'elle existe dans notre société. Les jeunes beurs, blacks et asiatiques y sont relativement absents mais nous devons nous garder d'être dogmatiques comme les Américains », ajoute Thierry Magnier. En effet, chez les Anglo-saxons, le mouvement « on voice » implique qu'un auteur ne peut parler d'un sujet que s'il est concerné : un personnage ne peut pas être afro-américain si l'auteur n'est pas afro-américain. Yakouba, de Thierry Dedieu (Seuil Jeunesse) a été refusé par des éditeurs outre-Atlantique et Sarbacane n'a pas pu vendre les droits de la BD, Panama Al Brown, d'Alex W. Inker pour cette raison. « Nous n'avons pas à nous faire pardonner notre souplesse intellectuelle. La seule question qui importe est que ce soit un bon livre » insiste Emmanuelle Beulque. « L'éditeur, responsable de son catalogue, fait des choix mais il doit laisser sa part à l'auteur. Notre démarche est à l'opposé d'une approche marketée et formatée qui cherche à atteindre une cible », poursuit-elle, citant Le garçon de phare, de Max Ducos, qui met en scène deux garçons. « Nous avons publié un texte LGBT, La sirène et la licorne, qui a une façon intéressante de traiter le sujet via l'imaginaire. Dès qu'on est dans le roman réaliste, il y a un petit côté donneur de leçon » rappelle Murielle Coueslan. « On est dans la fiction. Je peux me projeter dans un garçon, un lapin, un canard », ajoute Anaïs Vaugelade. Editeurs, auteurs, illustrateurs sont désormais plus avertis. « Il faut tordre le cou aux stéréotypes sans pour autant être systématiques. Nous parlons à des enfants. Il faut un peu de légèreté et de spontanéité » précise Céline Ottenwaelter, qui rappelle que Le Seuil Jeunesse est l'éditeur de Babette Cole, Gilles Bachelet, Antonin Louchard.

« Nous, les filles de nulle part, traite de la culture du viol. Mais si on regarde les séries télévisées et les films au cinéma, l'innocence ne fait plus partie du monde des adolescents. Nous devons parler aux ados d'aujourd'hui et notre rôle est de leur dire que leur corps leur appartient », insiste Maylis de Lajugie. Thierry Magnier y répond avec une nouvelle collection « L'ardeur », qui se présente comme une collection érotique pour les adolescents, inaugurée par Camille Emmanuelle avec Le goût du baiser. Actes Sud Junior de son côté vient de publier Non, c'est non ! Contre le harcèlement sexuel, de Nadia Leila Aissaoui, et Actes Sud accompagne l'exposition du Palais de la découverte avec De l'amour. Fragments d'un discours scientifique. « Nous sommes toujours à l'affût de ce sujet qui est essentiel dans la construction d'un ado » commente Thierry Magnier.

Couleur layette

Ces sujets ne sont pas aisés à aborder et l'édition est attendue au tournant. L'exposition récente sur la censure à la Bibliothèque nationale de France, « Ne les laissez pas lire ! Polémiques et livres pour enfants » (3) a montré combien le livre de jeunesse était sous surveillance. Les droits des filles et Les droits des garçons, deux titres de Talents hauts traduits en douze langues ont été interdits en Turquie. Il n'est pas rare que l'éditeur reçoive des mails menaçants, des trolls dans son système informatique et « pas forcément pour les titres les plus révolutionnaires comme Minette dans le tractopelle », s'étonne Laurence Faron. «  Nous avons été beaucoup attaqués pendant l'été sur la couverture de Comment naissent les bébés parce qu'elle montre un couple mixte. Ces attaques ont été très violentes et sales. Nous répliquons en cette fin d'année avec Kididoc sur le corps à la couverture rose malabar », révèle Marianne Durand. « Je suis perturbée par les réactions sur les réseaux sociaux car les ouvrages y sont parfois mal perçus. Le héros de La vie de Smith, qui dit la fille en parlant de sa copine, a été accusé de sexisme et Boubou, un héros noir pour les petits, a été vu comme du racisme », souligne Céline Ottenwaelter

Emmanuelle Beulque souligne que si la couverture des Petites reines, de Clémentine Beauvais, était rose, elle était ornée de petits boudins... en référence à l'intrigue. Pour la réédition, elle est devenue bleu et rose, couleur layette, par autodérision. « Il faut de l'humour, faire un pas de côté et refuser de s'autocensurer », commente-t-elle. « Dans la tête d'une garce, de Laurène Reussard, détourne les clichés pour en faire des sujets très modernes. Nous allons chercher de nouvelles voix et de nouveaux sujets, qui parlent aux jeunes filles d'aujourd'hui. Mais il est vrai qu'avec les réseaux sociaux, il y a des choses qu'on ne peut plus dire et d'autres qu'on taisait et qu'on dit. Les jeunes s'approprient des modes d'expression dont nous, éditeurs, nous nous faisons les porte-voix », précise Cécile Terouanne. Laurence Faron a travaillé longtemps avec Jo Witek pour trouver la forme de Pourquoi les princesses doivent-elles toujours être tirées à quatre épingles ?, une mise en abyme du conte, « le fond ayant conduit à une transformation de la forme parce que les jeunes ont besoin qu'on les aide à décrypter et à développer leur esprit critique tant sur le texte que sur l'image » pointe l'éditrice, qui a aussi choisi une approche humoristique pour Chouchou, qui parle de la jalousie entre frères et de la différence. Car, comme l'affirme Anaïs Vaugelade, « les titres qui ont le plus de succès sont ceux qui déclenchent une franche rigolade »

Les 5 engagements de Syros

Ouvert aux autres cultures, éditeur des premiers polars pour les jeunes, militant du conte, Syros marque par ses choix, depuis 35 ans, l'édition pour la jeunesse. Portrait d'une maison engagée à travers cinq lignes éditoriales fortes, commentées par Sandrine Mini, qui la dirige depuis 2005.

Sandrine Mini, Syros- Photo OLIVIER DION

Avec son nom d'île grecque, Syros, entré dans le giron de Nathan en 2002 (après le rachat en 1998 par Havas/Vivendi), fête cette année ses 35 ans. Après un magazine de 48 pages, des rencontres à Paris et à Nantes, la réédition de La grande peur sous les étoiles, une fête à Montreuil le 30 novembre, une présentation aux professionnels au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil clôturera les festivités le 2 décembre. « Nous voulons éclairer le présent et le futur de Syros par le passé. Il faut redonner du sens et du désir auprès de ceux ne nous connaissent pas forcément » commente Sandrine Mini qui dirige cette maison depuis 2005, dont les 35 nouveautés annuelles, concoctées par une équipe de six personnes, continuent d'explorer les grands thèmes qui ont fait son succès depuis trente-cinq ans.

Denis Guiot, Syros- Photo OLIVIER DION

1. L'ouverture aux autres cultures

Dès son premier titre jeunesse en 1984, Écritures dans l'histoire et par les contes et la collection de livres bilingues « L'arbre aux accents », Syros, qui s'est appuyé sur l'association et la librairie de Suzanne Bukiet, a séduit les prescripteurs par son ouverture aux autres cultures. Suivent les albums bilingues « Les contes du poulailler », « Les imagiers trilingues » pour les tout-petits (français/turc/allemand), « Les copains de la classe » lancée par Germaine Finifter en 1985, et, en 1989, « L'arbre aux accents », des triptyques (livre de cuisine, contes, nouvelles contemporaines) écrits par des auteurs et illustrateurs du pays. Depuis 2014, Syros plonge les jeunes dans un bain linguistique avec « Tip Tongue », écrite par une auteure de polars, Stéphanie Benson, qui amène en douceur le lecteur à lire dans une langue étrangère. La collection a reçu le Label européen des langues et se décline en « Tip Tongue Journals » et, en 2020, aux plus jeunes, en collaboration avec l'association Dulala.

2. Du polar pour les enfants

En 1986, Syros lance un pavé dans la mare avec les « Souris noire », de vrais romans noirs pour les jeunes de 8 ans, pour lesquels Joseph Périgot fait appel aux grands noms du polar adulte : Les doigts rouges, de Marc Villard (1 million de ventes), Le chat de Tigali, de Didier Daeninckx, Qui a tué Minou-Bonbon ?, de Joseph Périgot, L'assassin de papa, de Malika Ferdjoukh, Ippon, de Jean-Hugues Oppel sont devenus des long-sellers. La collection connaît divers directeurs de collections - Patrick Mosconi, Franck Pavloff, et François Guérif, le fondateur de « Rivages/Noir », qui lui a donné un grand frère « Rat noir ». Elle a aussi eu différentes couvertures dont les très graphiques conçues en 1992 par Gérard Lo Monaco ainsi que des déclinaisons en tous genres, jusqu'aux « Souris Poche » (1997), qui sont noire, rose, verte, fantastique, etc.

Aujourd'hui, Syros reste le premier éditeur de polar jeunesse, sous la direction de Natalie Beunat, depuis les « Mini-souris noire » (dès 8 ans), « Souris noire » (à partir de 10 ans), où l'on trouve la série « Dix minutes... » de Jean-Christophe Tixier (4 titres, 58 000 ventes et 20 prix littéraires) dont le prochain, Dix minutes en mode panique, paraît le 9 janvier et « Rat noir », jusqu'aux hors-séries signés Tim Willocks, Caryl Ferey, Benoît Séverac (Le jour où mon père a disparu, à paraître le 16 janvier) et Danielle Thiéry (avril).

3. La force du conte

Dans son ouverture aux cultures du monde, Syros a toujours fait la part belle au conte. En 1994, naît la collection « Paroles de conteurs », dirigée par Ilona Zanko, « qui a accompagné le renouveau du conte de tradition orale » souligne Sandrine Mini. Elle a été suivie par « Mini Syros Conte », « Le tour du monde d'un conte » (différentes versions d'un même conte), et « Le tour du monde des contes » (des compilations pour les petits). La dernière-née (2017), « Kilim », pour les jeunes dès 8 ans, s'attache aux grands textes, mythes et légendes sous le slogan « que la force des histoires grandisse en toi ». Elle a aussi ses vedettes, Huile d'olive et beurre salé, un duo de conteuses. « Le conte perd du terrain mais il reste prescrit. Nous y tenons car il passe les frontières. Les mêmes histoires racontées dans le monde entier dans des versions différentes démontrent que nous appartenons à la même humanité », souligne Sandrine Mini.

4. L'engagement

Fondées en 1972 au sein de PSU (Parti socialiste unifié) puis ouvertes à la jeunesse en 1984, fusionnées avec Alternatives puis avec La Découverte, les éditions Syros ont depuis leur création toujours été engagées. Dès 1984, sort Pika, l'éclair d'Hiroshima, le témoignage de Mitchan, 7 ans. De son mariage à La Découverte de 1993 à 2002, il reste L'état du monde junior, la collection « J'accuse ! » et La grande peur sous les étoiles, de Joe Hoestlandt, illustré par Johanna Kang et préfacé par Claude Roy, racontant la disparition de Lydia, 8 ans, dans la rafle du Vél'd'Hiv, lauréat d'un BolognaRagazzi. En 2006, Philippe Godard lance « Femmes ! », « Au crible », « Les documents Syros ». La maison explore les grands thèmes que sont les droits humains, la tolérance, l'émancipation, l'altérité, dans des albums comme La rédaction, sur la dictature, Toi, vole !, mettant en scène un petit garçon et son père qui vivent dans un aéroport et Je suis Camille, l'histoire d'une fille née dans un corps de garçon. « Il y a un besoin de documentaires intergénérationnels. Les questions ne sont plus les mêmes depuis une dizaine d'années et nous avons la chance d'avoir des auteurs attentifs et concernés par ce qui se passe dans le monde » constate Sandrine Mini, qui annonce pour mars 2020, Les mots pour combattre le racisme, après Les mots pour combattre le sexisme (mars 2019).

5. L'anticipation et la SF : un pied dans la fiction

« Sous couvert de divertissement, la SF participe à un véritable processus transformateur des consciences et aide le jeune lecteur à entrer dans l'avenir » écrit Denis Guiot qui a lancé « Soon » en 2008, de la science-fiction pour les lecteurs à partir de 12 ans, qu'il décline en « Mini Soon + » (dès 10 ans) et « Mini Soon » (dès 8 ans) avec la série à succès Les humanimaux, d'Eric Simard. En 2009, Méto, d'Yves Grevet, une trilogie dystopique, ouvre la voie des grands formats. #Bleue, de Florence Hinckel (13 prix littéraires), Ne ramenez jamais chez vous une fille du futur, de Nathalie Stragier, Power Club, d'Alain Gagnol, installent Syros dans la fiction engagée. Ce qui fait battre nos cœurs, de Florence Hinckel, sur le transhumanisme (août) et la trilogie post-apocalyptique Lou, après tout, de Jérôme Leroy, sélectionnée pour les Pépites de Montreuil (le 3e volume, L'éloge de la douceur paraîtra le 9 janvier), « annonce l'écroulement de notre monde de façon terrifiante mais ose l'utopie à la fin » précise Sandrine Mini. En 2015, Syros a aussi coédité avec Nathan U4, un ovni littéraire (500 000 ventes), une tétralogie dont chacun des volumes est écrit par un auteur différent : Yves Grevet, Vincent Villeminot, Florence Hinckel et Carole Trébor, suivis d'un préquel, de poches, d'audiobooks et bientôt d'une adaptation en BD. 

Les 50 meilleures ventes en jeunesse

L'univers de J. K. Rowling règne sur la liste des -meilleures ventes jeunesse avec dix titres sur les 50 que compte le palmarès : huit Harry -Potter, dont une première place pour Harry Potter à l'école des sorciers, Les animaux fantastiques (17e) et Les contes de Beedle le Barde (40e).

La fiction pour les 8-12 ans tente une percée dans une liste composée de long-sellers et qui laisse peu de place aux nouveautés. Les séries « Bienvenue chez les Loud », et « Miraculous », en « Bibliothèque rose », sont toutes deux issues d'une série animée. Gardiens des cités perdues, de Shannon Messenger, de la fantasy à partir de 10 ans publiée en grand format par Lumen, a réussi son passage en poche chez PKJ et Célestine, petit rat de l'Opéra, personnage créé par Gwenaële Barussaud (Albin Michel Jeunesse) s'impose aussi auprès des plus jeunes sans médiatisation. Du côté des adolescents, Stranger things. Suspicious mind, de Gwenda Bond, préquelle de la série (3 saisons) diffusée sur Netflix, s'installe en 35e position.

Le planisphère Livres Hebdo de l'édition jeunesse 2019

Le planisphère Livres Hebdo de l'édition jeunesse 2019- Photo LIVRES HEBDO

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