La jeune femme et la mort. C'est en Inde, à 5 000 mètres d'altitude, près du lac Roopkund (aussi connu sous le nom de « lac des squelettes »), que naît la vocation d'archéologue funéraire de Jennifer Kerner. Quelques mois avant ce voyage, à l'aube de la vingtaine, la jeune femme avait perdu son premier amour, J., foudroyé par une overdose. Entre récit intime et essai sur les pratiques funéraires d'ici et d'ailleurs, Le mari de nuit entrelace la naissance d'une passion au deuil d'une autre, l'aventure de la recherche à la quête individuelle. « J'avais besoin de comprendre pour dompter la douleur. Comment "les autres" gèrent-ils la mort de leurs semblables ? »
Au fil de ses recherches et des chantiers archéologiques, Jennifer Kerner découvre et fait connaître à son lectorat des pratiques radicalement différentes de celles que nous connaissons aujourd'hui sous nos latitudes. Du mos Teutonicus, « cuisine macabre » héritée des peuples germaniques visant à « la récupération d'ossements blanchis et dégraissés prêts à devenir des reliques », au cannibalisme des Tupinambas, qui consomment les os réduits en poudre de leurs défunts dans des bouillies à base de bananes « afin de "domestiquer" l'absence de l'autre » ; des « drive-in de la mort » aux États-Unis et au Japon au « retournement » des défunts à Madagascar ; des « funérailles célestes » au Tibet aux « bouquets d'aromates » remplaçant les entrailles de la défunte Agnès Sorel, favorite du roi Charles VII, ce tour du monde des pratiques funéraires met en évidence la nécessité pour toute société humaine de prendre soin de ses morts pour mieux consoler de leur irrémédiable absence ceux qui leur survivent. La sophistication de ces pratiques éclaire en retour l'appauvrissement dommageable des rites occidentaux, dont Jennifer Kerner prend conscience lors du décès soudain de sa belle-sœur Élodie, autre expérience intime du deuil qu'elle relate dans son ouvrage. « Élodie aurait mérité qu'on invente pour elle de nouvelles formes de fosses funéraires, de nouvelles espèces de roses multicolores à lancer sur le cercueil. [...] Hélas, nous peinons à créer de nouveaux gestes qui métamorphoseraient nos défunts athées en quelque chose de plus grand et transcenderaient leur mort pour y insuffler une nouvelle forme de vie. Nous, les vivants, sommes malades de délaisser nos morts. »
Accessible à tous, porté par la volonté de vulgariser les savoirs contenus dans ses pages (comme Jennifer Kerner, également vidéaste web, le fait aussi sur sa chaîne YouTube, Boneless Archéologie), Le mari de nuit invite le lecteur à interroger son rapport à la mort - de soi, des autres. De façon ludique et parfois paradoxalement joyeuse, l'autrice questionne notre finitude et celle de nos proches, en alternant considérations scientifiques, perspectives historiques et récit de sa propre reconstruction. À l'essai se mêle ainsi le cénotaphe de papier érigé pour l'« éternel amant », et l'expérience vécue enrichit la difficile mais nécessaire rationalisation de notre plus grande peur.
Le mari de nuit. Expériences du deuil et pratiques funéraires
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 20 € ; 224 P.
ISBN: 9782072997945