Molly et Ralph. Ralph et Molly ne sont pas jumeaux mais c'est tout comme : ils sont tant en connivence l'un avec l'autre qu'ils éprouvent les choses au même moment. Respectivement 10 ans et 8 ans, le frère et la sœur souffrent de saignements de nez si fréquents que les instituteurs, se déclarant incompétents face à leurs hémorragies chroniques, les renvoient chez eux. Ça ne rate pas, ils se retrouvent dans le couloir concomitamment et prennent de conserve le chemin du retour. Leur mère, grande bourgeoise à la fois attentive et perpétuellement en panique vis-à-vis des apparences, leur demande pourquoi ils ne l'ont pas appelée. Elle aurait pu envoyer le chauffeur, dit-elle en les embrassant tout en essayant de ne pas se tâcher. Peu leur chaut de rentrer à la maison en voiture, ce qu'ils préfèrent c'est marcher ensemble à leur rythme. Ils répètent en duo, tel un sketch, les blagues de comics auxquels ils sont abonnés, Molly observe un détail dans la nature et se projette déjà dans le ranch de Grand' Pa... Ce ne sont pas encore les vacances, on s'apprête en revanche à recevoir l'aïeul. À la maison, c'est le branle-bas de combat : Mme Fawcett, qui n'apprécie guère le second mari de sa mère qu'elle considère mal dégrossi, met cependant les petits plats dans les grands.
Petit bijou de la fiction américaine des années 1940, Le puma de Jean Stafford est un roman d'initiation où l'on suit les pas des benjamins de la fratrie, Ralph et Molly, vers l'adolescence. Les sœurs aînées prennent la voie tracée par leur conditionnement de futures épouses modèles, sur fond d'Amérique blanche ségrégationniste. Molly n'entend pas grandir, si cela signifie être aussi frivole et sotte. Au fil des pages, elle prend conscience de la solitude à laquelle la condamne sa grande acuité. Ralph ne va pas rester le petit garçon d'antan. Veut-il vraiment devenir un homme ? Grandir, c'est dire adieu. La mort se rappelle toujours à notre bon souvenir, Grand' Pa mourra comme papa, disparu à l'âge de 36 ans... Autour de Molly rôdent le trépas et l'obscur désir des grands, à l'instar du fauve tapi dans les hauteurs ombreuses de la montagne. Il y a dans ce Puma autant de Mark Twain que de Virginia Woolf. Lauréate du Pulitzer pour ses nouvelles, Jean Stafford raconte ici d'une voix subtilement magnétique le duel entre la lucidité enfantine et le tragique du monde adulte.Sean Rose