C'est un ouvrage d'une érudition folle, à quoi se mêlent un brin d'humour, de subjectivité (Char en prend pour son grade ; Isabelle Rimbaud, la sœur bigote d'Arthur (1854-1891), et son mari, le non moins pieux Paterne Berrichon, se voient, eux, réhabilités) et de modernité : il y est aussi question de Patti Smith, qui a racheté, à Roche, la maison construite sur les ruines de la ferme familiale, détruite par les Allemands, d'Hubert-Félix Thiéfaine ou de Lee Marvin chanteur...

Rimbaud lui-même n'était-il pas passionné par les techniques les plus en pointe de son temps (la photographie notamment), qui se fit envoyer, à Aden, en 1879, par le libraire-éditeur parisien Lacroix, tout un lot de manuels improbables ? « Il faut être absolument moderne », écrivait-il à la fin d'Une saison en enfer, son premier livre, imprimé en 1873 à Bruxelles, chez Louis Deghislage. Cinq cents exemplaires à compte d'auteur, censés être payés par Vitalie, la « Mother ». L'éditeur a détruit le manuscrit, sur instructions du jeune poète, ce voyou rouquin aux yeux pervenche dont le génie sautait aux yeux, et il a conservé dans sa cave une grande partie du tirage, non réglé. C'est le bibliophile Léon Losseau qui a découvert et racheté les précieuses plaquettes, en 1901.

Jean Rouaud reconstitue minutieusement cette trajectoire terrestre de Rimbaud, assez brève mais tellement mouvementée, erratique, tragique, avec ses myriades de lieux, de Dole, où était né Frédéric, le capitaine volage, « le grand absent » dont le manque ne guérira jamais chez son fils cadet, à La Rochefoucauld, en Charente, où vécut et mourut Marie Saulnier, la seconde épouse de Paterne Berrichon, usurpatrice qui s'est arrangée pour spolier la famille Rimbaud (du côté de Frédéric, le fils aîné et mouton noir) de tous ses droits. Elle a même vendu la malle, demeurée intacte et pleine, que Rimbaud avait rapportée du Harar lorsqu'il est revenu mourir en France, à Marseille, après des années de calvaire, une amputation et au terme d'une agonie atroce.

Dans ces lieux, il y a autant de personnages, qui ont parfois simplement croisé le chemin de Rimbaud, comme ce Monsieur Fricotot, un brave paysan ardennais qui l'aurait aperçu se promenant, boiteux et solitaire, à la fin de sa vie, et l'a raconté en 1954 devant les caméras de Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet. Ou bien joué un rôle important dans cette histoire exceptionnelle : la famille ; Ernest Delahaye, l'ami d'enfance et confident ; Paul Verlaine, le « Pauvre Lelian », amoureux éconduit de méchante manière par ce sale gamin ingérable qui l'avait rendu fou au point de tout plaquer ; Alfred Bardey, son associé dans les affaires à Aden ; ou encore Mariam l'Abyssine, qui fut au Harar la femme de cet homme farouche ne se voulant que négociant, obnubilé par l'argent, et à qui elle n'a pas réussi à donner un fils...

Tout est là, dans ce livre kaléidoscope, atlas d'une galaxie qui, cent trente ans après la disparition de son soleil, n'en finit pas de resplendir, de fasciner, d'intriguer.

Jean Rouaud
La constellation Rimbaud
Grasset
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 € ; 205 p.
ISBN: 9782246826590

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