"Si vous voulez me citer, il me faut l’accord du service communication de la ville", s’entend-on répondre au bout du fil. Triste illustration d’un pesant protocole qui n’a rien d’une exception dans l’univers des bibliothèques. Lorsqu’il s’agit de témoigner, de diffuser une information ou de promouvoir un événement, le bibliothécaire est bien souvent dépendant de sa collectivité, qui centralise les relations publiques. Un système pesant et surtout lent. "On manque de réactivité, il faut obtenir une validation à chaque fois qu’on veut mettre quelque chose en place", déplore Flora Gousset, directrice adjointe de la médiathèque de Brétigny.
Marie Diderich, bibliothécaire à Moulins, enfonce le clou. Le véritable problème, selon elle, c’est que les services communication des mairies sont trop loin des réalités : "Ils sont déconnectés", s’exclame-t-elle en se remémorant un flyer raté pour un festival organisé pour des adolescents : "La photo était mièvre, avec des enfants trop jeunes ! Mais il était trop tard, on n’a pas pu faire marche arrière." Une image à mille lieues des grandes métamorphoses que connaît l’endroit depuis vingt ans. Boudée par les usagers, ébranlée par l’avènement du numérique, la bibliothèque, pour s’adapter, s’est faite pluridisciplinaire, sociale, plus à l’écoute des besoins des usagers. Bref, plus ouverte. Une mutation hélas vaine si ceux qui ne fréquentent pas l’établissement, cible majeure des nouvelles bibliothèques, n’en ont pas connaissance.
Mutation visible
"Comparée aux Scandinaves ou aux Nord-Américains, la France a beaucoup de retard, admet Anne Verneuil, directrice de la médiathèque d’Anzin, car elle n’a ni l’habitude ni la formation." Pourtant, la profession est de plus en plus consciente qu’ouvrir les portes de la bibliothèque sans promouvoir le lieu ne servira à rien. Des établissements se sont lancés dans d’originales campagnes d’affichages. Les affiches de la bibliothèque de Limoges la présentent comme "un autre chez soi", tandis qu’à Anzin elle est un havre de paix : "Médiathèque d’Anzin, vous y êtes bien !" clamera le slogan de la campagne de septembre.
Pour mieux frapper les esprits, la bibliothèque de Lezoux a décidé de s’en remettre à une agence de communication. "Il n’y a plus d’intermédiaires, on travaille en direct avec des graphistes", explique Pauline Bénéteau dont l’équipe travaille sur la conception d’un logo pour l’établissement : "Il nous faut une identité visuelle, comme les musées ou les théâtres, pour être présents sur la scène culturelle", affirme-t-elle. De même, à Noisy-le-Grand, la directrice, Laurence Gaidan, a demandé que son établissement anonyme devienne la bibliothèque Georges-Wolinski, "un premier pas pour pouvoir être mieux identifiés par le public", estime-t-elle.
C’est sur les réseaux sociaux que la nouvelle fibre communicante des bibliothécaires semble surtout se manifester. Pages Facebook et comptes Twitter se multiplient. Des comptes officiels, mais aussi "privéssionnels" dans le cas où les bibliothécaires utilisent leur compte personnel pour communiquer sur leurs activités mais aussi leurs points de vue. Une tendance grandissante, qui marque leur volonté de reprendre en main la communication de leur établissement mais aussi de "décloisonner la pyramide hiérarchique", selon Renaud Aïoutz, à la médiathèque départementale du Puy-de-Dôme, lui-même twitto convaincu.
La branche geek
Instigatrice de la communication sur les réseaux sociaux, la branche "geek" des bibliothécaires a dernièrement secoué le modèle de la traditionnelle affiche en imaginant de nouvelles manières de faire connaître les établissements. La bibliothèque Louise-Michel, à Paris, s’est dotée d’une chaîne YouTube où, chaque mois, deux animateurs présentent à coups de farces et de mimiques comiques le programme à venir, mais aussi d’un compte Pinterest où des sélections thématiques de documents disponibles à la bibliothèque sont proposées. "Grâce au système de "like" et de partage, on touche ceux qui ne sont pas familiers du lieu", souligne Claire Santon, la bibliothécaire, fière de brandir ses 800 abonnés, un an après le lancement de la chaîne.
Aller là où sont les utilisateurs potentiels, et ne plus attendre qu’ils viennent vers soi : les bibliothécaires mènent leur croisade sur le Web, mais aussi en chair et en os. Adepte de la méthode du bouche-à-oreille, l’équipe de Lezoux tient une permanence chaque jour de marché. "Quand on va parler aux gens, et qu’il y a un véritable contact, estime Pauline Bénéteau, c’est la meilleure des publicités."