7 novembre > Essai France

Claude Lévi-Strauss- Photo DR

Quatre ans après la mort de Claude Lévi-Strauss, voici le premier bilan d’une œuvre. Maurice Godelier a beau la juger « considérable », il n’en est pas moins critique. Né en 1934, figure majeure de l’anthropologie française, médaille d’or du CNRS, auteur d’ouvrages de référence comme L’énigme du don («Champs», Flammarion, 2002) ou de Métamorphoses de la parenté («Champs», 2010), il a relu les travaux de celui dont il fut le maître-assistant avec l’ambition d’en faire l’inventaire.

Maurice Godelier a construit son essai en deux parties : une première sur la parenté, une autre sur les mythes. Il montre bien comment la parution des Structures élémentaires de la parenté en 1947 a secoué le monde de l’anthropologie. La connaissance scientifique de la parenté fait alors un bond spectaculaire, même si l’explication du fait que ce sont les hommes qui échangent les femmes et non le contraire reste discutée.

Maurice Godelier s’attaque ensuite à la montagne mythique de Lévi-Strauss et à sa Pensée sauvage dont il conteste l’équivalence avec la pensée scientifique. «Certes, il faut prendre les mythes au sérieux et en faire un objet de science. Mais il s’agit d’un tout autre projet que celui de vouloir convaincre que les mythes c’est (déjà un peu) de la science.»

Dans son examen de la boîte à outils structuraliste de l’auteur de Tristes tropiques, Maurice Godelier trouve des instruments qu’il juge obsolètes et d’autres qui servent toujours à comprendre l’homme dans ses rapports sociaux, l’invention des dieux, des tabous et de l’art. Il est plus corrosif avec «la posture du sage dispensant des leçons à ses contemporains» et sur le fait que l’ancien militant socialiste se qualifiait de «vieil anarchiste de droite» en faisant l’éloge de Montaigne et du devoir de « vivre comme si la vie avait un sens». Il lui reproche aussi son «mélange de misanthropie et de sagesse» qui lui faisait voir l’humanité s’écarter toujours plus des formes de vie sociale «authentique».

Ce qui aurait pu tenir du règlement de comptes de la part d’un chercheur fâché de ne pas avoir succédé à son maître au Collège de France se révèle en fait un formidable ouvrage de réflexion intellectuelle qui va bien au-delà des divergences entre deux géants de l’anthropologie. D’abord parce qu’on y voit se construire la pensée de Lévi-Strauss. On saisit comment s’élabore une méthode, on voit ce qui fait qu’un esprit dépasse les autres, lorsqu’il est en pleine possession de ses hypothèses.

On mesure la richesse d’une œuvre aux débats qu’elle suscite et aux voies qu’elle ouvre. Celle de Lévi-Strauss reste immense et Maurice Godelier ne tente pas de la réduire, mais d’en expliquer les contradictions pour les dépasser. Il n’a pas fait le portrait d’un homme, mais il a réussi celui d’une œuvre.

Laurent Lemire

 

Les dernières
actualités