Quand on le découvre, Werner Karl Heisenberg a 23 ans. Le héros bien réel du nouveau livre de Jérôme Ferrari n’est pas encore le prix Nobel de physique de 1932 mais un jeune homme qui s’est mêlé de physique atomique à Munich, Copenhague et Göttingen, se colletant sans relâche aux atomes et aux électrons. Le voici sur l’île d’Helgoland, face à la mer du Nord. Un lieu désolé où ne pousse aucune fleur, où il est venu se protéger du pollen. Fils du professeur August Heisenberg parti faire la guerre, Werner a foi en la beauté et a l’audace de regarder "par-dessus l’épaule de Dieu".
Ce Werner a été un garçon "si totalement, si terriblement sain", puis un homme de combat devant repousser les objections, souvent les nerfs à vif. Le narrateur de Jérôme Ferrari lui doit d’avoir connu la pire humiliation de sa vie en juin 1989. Au dernier examen oral de fin d’année. Quand il eut à commenter, face à une jeune maître de conférences, un passage de Physique et philosophie d’un Allemand dont il savait juste qu’on lui devait le principe d’incertitude et qu’il s’était penché sur la vitesse et la position d’une particule élémentaire.
Friand de coldwave anglaise et du corps d’une jeune fille qu’il aimait retrouver, ledit narrateur s’est ensuite rattrapé et a comblé son ignorance. Collant au plus près de Werner Heisenberg, l’un des fondateurs de la mécanique quantique. Avec ses compromissions, son attachement à sa terre natale. Son questionnement, ses engagements et son rapport à la folie des hommes. Célébré par le prix Goncourt pour son précédent roman, Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud, 2012, repris chez Babel), Jérôme Ferrari impressionne à nouveau. En signant ici un livre exigeant et fort, porté par une prose ample et sinueuse. Alexandre Fillon