Eric Pessan propose un très beau roman sur deux ados pour qui la clé des champs ouvre aussi celle du droit d’asile.
C’est un matin comme un autre. Le ciel est peut-être un peu plus bleu. A part ça, la routine. Antoine et Tony, les meilleurs amis du monde, végètent sur le parking de leur immeuble de banlieue. Soudain, Tony crie à Antoine qu’il va "compter jusqu’à trois. Et c’est tout". Il se met à courir et Antoine le suit. Ils n’ont rien prémédité, rien comploté. Ça commence comme un jeu. Seulement ça ne finit pas. Au lieu de s’arrêter au centre commercial, les deux garçons continuent. La cité s’éloigne et, l’air de rien, un pied devant l’autre, ce lundi matin vient de basculer dans l’inconnu. Ils courent du matin au soir, jusqu’à l’extinction de leurs forces. Plus rien ne compte, le monde ancien est désormais derrière eux. Seule injonction : "Deux inspirations, une expiration.""Mon cœur s’est installé dans mes oreilles, il joue du tam-tam", raconte Antoine. Foin des points de côté et de la fatigue. Leur moteur ? Pas la rage de vaincre ni la performance, mais la tristesse pour l’un et la colère pour l’autre. La famille ukrainienne de Tony est menacée d’expulsion. Quant à Antoine, il craint de se prendre une nouvelle rouste de son père. Au fil des jours, l’horizon s’élargit, ils s’imaginent être "deux rivières qui coulent loin du cours tout tracé de leur vie". Quand, à la fin, les médias s’emparent de leur cas, ils en font les gros titres : "Deux jeunes fugueurs marathoniens courent pour le droit de grandir et d’étudier en France." Antoine et Tony ne démentent pas, se contentent de sourire. Eric Pessan signe ici une belle ode à la liberté dans une langue poétique, à la fois puissante et délicate. "J’ai remplacé deux heures banales de ma vie par deux heures magnifiques", résume Antoine. On ne saurait mieux dire.
Fabienne Jacob