A l'en croire, Maryse Condé aurait, jusqu'à présent, édulcoré, voire falsifié sa biographie dans ce qu'elle a de plus intime : sa jeunesse, ses amours, sa famille. Paradoxe apparent chez cette femme qui se veut passionnément éprise de vérité. Le grand écrivain a décidé de passer aujourd'hui aux aveux. Cela nous vaut un livre à la fois personnel et universel, où elle ne cherche à aucun moment à se justifier ni à se donner le beau rôle : elle reconnaît par exemple, à plusieurs reprises, n'avoir pas été, en dépit de tout son amour, la mère que ses quatre enfants étaient en droit d'attendre. Son fils Denis, en particulier, devenu écrivain à son tour et mort du sida en 1997, lui inspire ses pages parmi les plus émouvantes.
La vie sans fards débute en 1958, lorsque Maryse Boucolon, jeune Guadeloupéenne issue de la petite bourgeoisie "Grands Nègres" de Pointe-à-Pitre, fait la connaissance à Paris du comédien guinéen Mamadou Condé, qui va devenir son mari et le père de ses filles. Le garçon, lui, est le fils d'un Haïtien qu'elle a follement aimé, tout comme elle voue à son pays, Haïti, à sa culture et à ses écrivains une grande passion. En ce temps-là, la décolonisation était en marche, l'Afrique et ceux qui l'aimaient en pleine effervescence. Au contact de Condé, Maryse décide de se réapproprier ses "racines", d'aller vivre sur le continent afin de l'aider à se construire.
Elle y passera sept années, en Côte d'Ivoire, au Sénégal, en Guinée, au Ghana, avec même une excursion au Dahomey - qui ne s'appelait pas encore le Bénin. Dans des conditions éprouvantes, qui conduiront ses yeux à se dessiller, ses illusions à se perdre. "La Négritude n'était qu'un grand beau rêve. La couleur ne signifie rien", écrit à un moment Maryse Condé. Phrases terribles pour une femme noire qui s'est toujours voulue militante anticolonialiste, défenseur de ses frères de "race" («le mot, note-t-elle, n'était pas encore problématique comme il l'est aujourd'hui") et intellectuelle engagée. Sous l'influence de Condé, elle adhère aux idées des soi-disant "pères des indépendances africaines", Sékou Touré en Guinée, Kwame Nkrumah au Ghana, qu'elle a croisés. Ces derniers se révèlent des dictateurs féroces, qui, sous couvert de marxisme tiers-mondiste, ont entravé, spolié leurs pays et leurs concitoyens quand ils ne les ont pas massacrés, tout comme les sanguinaires Duvalier Père & Fils en Haïti. Dans son élan, elle va jusqu'à renoncer à sa nationalité française pour devenir guinéenne, erreur qu'elle reconnaîtra par la suite, lorsque cela lui vaudra, en 1966, d'être expulsée du Ghana en tant qu'espionne !
Maryse Condé, sans diplômes, formation ni appuis, a été enseignante dans des conditions misérables, juste de quoi nourrir les siens. Elle a dû déménager plusieurs fois, souvent au gré de ses amours, douloureuses. Au Ghana, pays des mâles paradant, elle se fera même violer. Surtout, elle sera souvent victime d'ostracisme de la part de ses "frères africains", qui la traitent de "toubabesse" - l'injure suprême, celle réservée aux colons blancs ! Elle se rend compte du profond antagonisme entre les Antillais, les Noirs américains et les autochtones, que la couleur de leur peau, seule, ne saurait fédérer.
A la fin de son livre, Maryse Condé a quitté l'Afrique, désillusionnée mais sûre que la deuxième partie de sa vie sera plus clémente : à 42 ans, elle va devenir enfin écrivain. Quant à l'Afrique, coulée dans "les replis de son imaginaire", «elle ne serait plus que la matière de nombreuses fictions". Ségou, par exemple (Robert Laffont, 1984-1985), qui l'a rendue célèbre et lui a valu des polémiques de la part de critiques africains : l'auteur n'aurait rien compris au Mali. Peut-être Maryse Condé racontera-t-elle tout ça un jour...