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Houellebecq, star paradoxale en Allemagne

Une apparition unique, le 19 janvier dernier, lors du festival de littérature Lit.Cologne, devant 600 admirateurs. - Photo Horst Galuschka / DPA / AFP

Houellebecq, star paradoxale en Allemagne

Soumission, dont la traduction allemande est parue une semaine après sa publication en France, connaît un grand retentissement outre-Rhin. Retour sur un marathon médiatique.

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Par Gilles Bouvaist
Créé le 06.02.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 06.02.2015 à 10h37

"C’est ma dernière interview en Allemagne : nous avons le temps de discuter pendant cinq cigarettes" : c’est en ces termes que Michel Houellebecq a conclu son marathon médiatique outre-Rhin, rapporte la journaliste qui l’a rencontré pour le quotidien de gauche Die Tageszeitung.

Peu après s’être mis en retrait en France, à la suite de l’attentat visant Charlie Hebdo, l’auteur s’est lancé dans une course de fond promotionnelle pour Soumission (Unterwerfung, dans sa version allemande, paru le 16 janvier chez Dumont Buchverlag). Son livre en a fait une figure omniprésente dans la presse outre-Rhin. L’accueil critique est unanimement positif, et les comparaisons flatteuses (Die Welt faisant par exemple référence à Céline). Le tout orchestré avec un art consommé de la mise en scène déglinguée (au point qu’Iris Radisch, critique littéraire de Die Zeit, lui lance, inquiète : "Sur la plupart des photos, vous avez l’air d’un mort-vivant. Est-ce que l’on doit se faire du souci pour vous ?"), et saupoudré de quelques phrases chocs savamment distillées ("En France aussi, il pourrait y avoir des Anders Breivik", déclare-t-il dans la même interview).

Une allure de sans-abri

Point d’orgue, une apparition unique le 19 janvier dernier lors du festival de littérature Lit.Cologne. Une séance de questions-réponses à guichets fermés devant six cents admirateurs venus écouter, comme le note perfidement Die Welt, "un type, dont l’allure laisse plutôt penser qu’il va vendre un journal pour sans-abri qu’une analyse de notre époque" et qui lui a valu une place de choix dans le journal télévisé de la chaîne publique ZDF.

Cette couverture médiatique, plutôt rare pour un auteur français, a propulsé l’ouvrage en tête des ventes : si au départ était prévue une mise en place de 100 000 exemplaires, "nous avons jusqu’ici imprimé quatre tirages du livre, soit 270 000 exemplaires, dont 230 000 ont déjà été distribués en librairie", relève Julia Giordano, attachée de presse des éditions Dumont. "Nous n’avons pas encore les chiffres exacts des ventes, mais le livre est cette semaine en tête de la liste des best-sellers du Spiegel".

"Tous nos exemplaires ont été vendus le premier jour", note de son côté Gerrit Schoof, responsable de la librairie Zauberberg, à Berlin. Michel Houellebecq superstar en Allemagne ? Le succès s’inscrit en tout cas dans la droite ligne des précédents ouvrages, tous publiés par Dumont : "Il est perçu en Allemagne comme un observateur très fin des mutations de la société, poursuit Gerrit Schoof. Je me souviens que dans Plateforme il évoquait déjà les talibans, le terrorisme islamiste, un thème absent de la fiction allemande à l’époque. Il est visionnaire et, dans cette mesure, n’a pas vraiment d’équivalent actuel en Allemagne." "C’est un écrivain apprécié des médias, tout en étant assez radical, ce qui est rarement le cas ici", estime de son côté Johannes Lotze, libraire dans le quartier berlinois de Moabit.

Le contexte et les attentats en France ont à l’évidence donné une résonance particulière à la thèse du livre. Mais le contexte allemand et les manifestations islamophobes lancées par le mouvement Pegida ont également joué, estime Gerrit Schoof : "Elles ont rendu le thème de l’islam dans la société occidentale omniprésent dans les médias et ont sûrement créé une sensibilisation particulière à cet aspect du livre. Même si, en tant que lecteur, je n’ai pas trouvé le thème aussi central que cela. Le terrain était propice."

Néanmoins, le libraire relativise un succès, qui n’a pas, pour l’instant selon lui, atteint de dimension "jamais vue" et évoque "le livre de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut [Wir sehen uns dort oben, paru chez Klett-Cotta en octobre dernier, NDLR] qui connaît des chiffres de ventes équivalents". D’ailleurs, dans la vitrine de Zauberberg, Houellebecq côtoie un autre illustre écrivain français : Patrick Modiano. "Un prix Nobel, cela se vend également bien", sourit Gerrit Schooff.

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