Lieu historique du mouvement ouvrier en France, la rue Jean-Pierre-Timbaud, dans le 11e arrondissement de Paris, est désormais souvent citée (un peu rapidement sans doute) comme symbole de l’identité déchirée de notre pays, partagée territorialement entre hipsters et bobos d’un côté, et une communauté musulmane soupçonnée de radicalisation de l’autre.
C’est dans cette rue, du côté du quartier "Couronnes", alors creuset d’un idéal du vivre-ensemble, entre l’ancien siège des Métallos et une mosquée cristallisant bien des craintes (fondées ou infondées), que s’est installé en 1995 le couple de journalistes Géraldine et Stephen Smith avec ses enfants, Max et Lily. La famille la quittera en 2007 pour partir vivre aux Etats-Unis. Dès l’année suivante, Géraldine Smith, désireuse de mieux comprendre ce qui avait "dysfonctionné" dans ce rêve d’intégration au sein du moule républicain, a commencé a accumulé des notes en vue de ce Rue Jean-Pierre-Timbaud (sous-titre, plus discutable : Une vie de famille entre barbus et bobos) qui paraît aujourd’hui. C’est le tableau clinique, sensible, intime aussi, d’un échec, d’une incompréhension qui se fait colère.
Pourtant, tout n’avait pas si mal commencé. Dans l’école catholique où sont envoyés les petits Smith, malgré quelques "assignations à résidences identitaires", la coexistence des histoires des uns avec les origines des autres s’organise plutôt bien. Une première fois, le 11 septembre 2001 viendra faire voler en éclats cet équilibre fragile. Et tout ira ensuite de mal en pis. Dans un style presque allègre, Géraldine Smith raconte ce "Charybde en Scylla" de l’espérance de fraternité. Elle le fait à la première personne du singulier, convoquant sa propre histoire personnelle, celle de son mari aussi, et brossant çà et là les portraits de ceux qui furent autant ses voisins que ses amis. Passionnant et souvent bouleversant. Olivier Mony