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Hachette, l'incertain destin d'un joyau français

Le siège d'Hachette Livre, à Vanves. - Photo Olivier Dion

Hachette, l'incertain destin d'un joyau français

Trois milliardaires pour un démantèlement ? La tension n'en finit pas de monter autour du groupe Hachette depuis le remplacement de son P-DG historique Arnaud Nourry par son propriétaire Arnaud Lagardère. Si ce dernier vend, qui de Vincent Bolloré ou de Bernard Arnault en tirera profit ? Selon quels scénarios ? Enquête sur une bataille capitalistique et politique, qui dépasse l'univers feutré de l'édition.

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Par Alexandre Duyck
Créé le 30.04.2021 à 17h19

L'avenir de l'édition à la française ne se lit plus dans le marc du café de Flore ou des Deux magots. Il se dessine dans des salles de marchés, au siège de banques et dans les bureaux de hauts dirigeants, en raison du changement programmé de gouvernance du groupe Lagardère, actionnaire d'Hachette Livre. Car telle est la réalité du moment : les milliardaires Arnaud Lagardère, Vincent Bolloré et Bernard Arnault marqueront une page dans l'histoire de certaines des plus belles maisons d'édition françaises.

Depuis des mois, la rumeur court à la vitesse d'un page turner. Vincent Bolloré, président de la multinationale Vivendi et donc d'Editis, serait prêt à dépenser 200 millions d'euros pour, dans un premier temps, mettre fin, dès l'assemblée générale du groupe en juin, à la commandite d'Arnaud Lagardère. Et peut-être, dans un second temps, lancer une OPA sur Hachette Livre. Rumeur accentuée par le départ fracassant, fin mars, d'Arnaud Nourry, P-DG d'Hachette depuis 2003 et gardien du temple. Si Arnaud Nourry s'en va, après s'être alarmé dans la presse des projets de Lagardère de vendre, c'est que Lagardère veut vendre. Logique ? Peut-être pas...

Mur de silence

C'est auprès des géants du CAC40, à la communication ultra-contrôlée, qu'il faut prendre des avis. Contacté, Yannick Bolloré, P-DG de Havas et président du conseil de surveillance de Vivendi (premier actionnaire de Lagardère à 27 %) nous renvoie poliment, par SMS, vers Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi, et président d'Editis... qui fait savoir qu'il ne souhaite pas s'exprimer. Son entourage ne nous dira rien des velléités d'achat d'Hachette mais tacle Arnaud Nourry : « Sa campagne médiatique délétère, grotesque et malveillante a démontré, dans le meilleur des cas, une totale méconnaissance d'Editis ; dans le pire, une volonté de diffamer nos maisons et notre équipe dirigeante. Notre seule priorité, c'est l'avenir de Lagardère car il ne vous aura pas échappé que Vivendi en est actionnaire. »

 

Au sujet du rachat, motus et bouche cousue comme chez Hachette où un nouveau duo est aux manettes : une figure historique de Lagardère, Pierre Leroy, artisan des conquêtes de Jean-Luc Lagardère et jusque-là cogérant du groupe ; et Fabrice Bakhouche, dont on sait la proximité avec l'Élysée (lui et sa conjointe Claudia Ferrazzi, conseillère culture entre 2017-2019, ont soufflé l'idée du pass culture à Emmanuel Macron). Quand ils reçoivent pour la première fois les syndicats le 8 avril, en vidéo, le message se veut rassurant. Fustigeant le « bruit médiatique » qu'aurait fait courir Arnaud Nourry, le nouveau P-DG, Pierre Leroy, surnommé « le serrurier », serre la vis : pas de démantèlement ; objectif 2026 avec l'inauguration du nouveau centre de distribution et les 200 ans d'Hachette. Les syndicats écoutent, sans se réjouir pour autant : « Nos interrogations et angoisses ont été balayées d'un revers de la main. Nous avons envie de croire aux promesses de la direction mais nous restons méfiants et très vigilants », assurent Noëlle Genaivre, secrétaire du comité de groupe et Didier Mollet, tous deux CFDT.

Patron endetté

Ce qui presse éventuellement Arnaud Lagardère de vendre, c'est sa dette personnelle de 215 millions d'euros à fin 2019. Signe positif, à l'annonce du départ d'Arnaud Nourry, Lagardère (+4,47 % à 22,88 euros) a dominé l'indice boursier SBF 120. Rassurant pour un groupe lourdement frappé par la pandémie de Covid-19 (660 millions d'euros de pertes en 2020 pour un chiffre d'affaires en recul de 38 %, à 4,4 milliards d'euros). À l'inverse, Hachette, n° 1 français et n° 3 mondial demeure un joyau avec 2,37 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2020.

« L'industrie du livre a de très beaux jours devant elle, affirme Hervé Collignon, conseiller de direction, spécialiste du secteur média-divertissement. De plus en plus de gens disposent de temps libre et de moyens d'accéder à des contenus. Certes, le livre n'est pas le seul moyen pour profiter de ce temps libre, on pense notamment à l'audiovisuel ou aux jeux vidéo. Mais à l'heure qu'il est, elle prend trop peu de place dans ce marché. C'est donc aux groupes de prendre des risques, d'anticiper et de créer des synergies. » On comprend mieux du coup les hésitations du moment. Pour Lagardère, faut-il miser sur l'avenir ? « Je ne vois pas l'intérêt pour eux de vendre aujourd'hui. Ce n'est pas en dépeçant qu'on développe un groupe, d'autant que le secteur est prometteur » commente une analyste financière.

Dans l'immédiat Vincent Bolloré lorgnerait, à un an de la présidentielle, sur le pôle média de Lagardère (Europe1, le JDD, Paris Match...). Hachette Livre, l'étape d'après ? « Vincent Bolloré est un génial acheteur à la baisse qui n'aime pas qu'on lui impose un timing, analyse le banquier Jean-Clément Texier. Dans cette affaire il ne peut pas être perdant. » Il rappelle le recrutement à l'automne 2019 de Michèle Benbunan, directrice générale d'Editis, qui a fait la majeure partie de sa carrière chez Hachette. « La personne qui connaît le mieux la concurrence », selon lui. Il cite aussi le recrutement par Editis de Sophie Charnavel, l'ancienne directrice éditoriale de Fayard, aujourd'hui à la tête de Robert-Laffont. Et rappelle que « pour Vincent Bolloré, le livre a toujours compté. Il ne faut pas oublier la papeterie familiale, son oncle P-DG de la Table ronde. C'est un peu son jardin secret. » Dans sa bibliothèque bretonne, Vincent Bolloré possède notamment les œuvres du général de Gaulle reliées par... Danièle Mitterrand.

Un sujet politique

Si rachat il devait y avoir, certains prennent peur, rappelant la façon dont Vincent Bolloré règne sur ses chaînes de télévision : « On court un réel danger démocratique, estime l'ancienne ministre de la Culture Aurélie Filipetti. Le président de la République se méfie de Vincent Bolloré. S'il estime qu'un danger sur la liberté éditoriale existe, il doit intervenir. » La présidente du directoire d'Actes Sud Françoise Nyssen, ancienne ministre de la Culture, elle aussi ajoute que « ce n'est peut-être pas un sujet politique à l'heure qu'il est, mais ça le deviendra si ça se fait. Nous ne sommes pas dans le pays de la loi Lang pour sacrifier la diversité éditoriale. Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, est quelqu'un de très attaché à la lecture. Il ne restera sans doute pas silencieux. »

Pour ajouter à la confusion du moment, plusieurs de nos interlocuteurs penchent pour d'autres scénarios. Un premier tenait la corde en fin d'année, la seule cession de la branche internationale d'Hachette (70 % de son CA en 2020) à Vivendi. Aujourd'hui circule aussi celui du rapprochement Hachette-Editis non pas sous pavillon Editis mais Hachette, qui deviendrait le groupe d'édition de Vivendi... Et un dernier joueur pourrait entrer dans la partie : Bernard Arnault, associé à Arnaud Lagardère au niveau de la commandite, cette anomalie dans la gouvernance d'un groupe coté. Le patron de LVMH, actionnaire de Madrigall, convoiterait lui aussi les pépites littéraires d'Hachette.

L'œil de Bruxelles

Si Hachette et Editis se retrouvent dans un même groupe, que dira la Commission européenne en matière de concurrence ? L'exemple de 2003-2004, lorsque Lagardère a échoué à racheter 60 % d'Editis, reste dans toutes les mémoires. A l'époque, Me Isabelle Weckstein représentait déjà le Syndicat de la librairie française. Dix-sept ans plus tard, elle aussi penche pour un hypothétique rachat d'Hachette par Vivendi, tôt ou tard. « On est toujours dans la même logique, les mêmes problèmes de concurrence même si les marchés ont changé notamment en raison de l'évolution du numérique. Le poids global de l'entité issue de la concentration et la question de la création ou du renforcement de positions dominantes devront de nouveau être analysés. » L'économiste Françoise Benhamou a calculé que les activités d'édition parascolaire des deux éditeurs cumulées atteindraient 71 % des parts de marché ; celles des dictionnaires 63 % ; le poche 54 % ; le tourisme 50 % ainsi que le scolaire, pour lequel chacun des deux groupes a une part de marché de l'ordre de 30 à 40 %.

Pour satisfaire Bruxelles, celui qui l'emportera devra lâcher du lest en revendant certaines maisons. Chez Actes Sud, Françoise Nyssen se fait mystérieuse : « D'autres belles maisons déjà installées et soucieuses de préserver la diversité du paysage éditorial, qui ne se résume pas à deux ou trois grands groupes, peuvent se manifester... » La sienne par exemple ? Pour mémoire, Actes Sud avait monté une offre commune avec Albin Michel pour acquérir en 2012 Flammarion, lors de sa cession par RCS. Une fois que les trois milliardaires auront trouvé un accord, l'affaire pourrait donc redevenir une histoire d'éditeurs. Avec de nombreux candidats prêts à la reprise de prestigieuses maisons.

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