Mon père, ce mytho. En Indonésie, on crie « amok ! amok ! » pour alerter le voisinage et que chacun se terre chez soi afin de ne pas tomber nez à nez sur le fou muni d'un couteau. Le terme malais décrit l'accès de folie meurtrière dont est saisi un individu en décompensation. Gurvan Kristanadjaja, malgré ses origines indonésiennes, ne connaissait pas ce mot avant de se rendre en Indonésie pour la première fois avec son grand frère Joseph à la rencontre de leur père qui les avait abandonnés à l'âge de 6 et 4 ans.
Dans Amok, mon père, l'auteur, également journaliste à Libération, raconte à travers ce premier roman à la tonalité autobiographique un retour aux sources qui n'en est guère un, puisque lui et son frère, élevés par leur mère et grand-mère bretonnes, ont grandi à Brest. Le périple en Indonésie pour Gurvan, le narrateur, ne donne pas tant l'occasion d'une relation de voyage émerveillée que l'anatomie d'une chute dans le réel.
Quoique déjà séparée d'avec cet Indonésien jadis rencontré lors de ses études en Allemagne et dont elle tomba follement amoureuse, la mère de Joseph et Gurvan avait toujours voulu que ses enfants entretiennent le lien, fût-il en grande partie fantasmé, avec l'homme qui se volatilisa du jour au lendemain quelques semaines avant Noël... Les deux garçons allaient garder une image floue de leur père, ce héros loufoque à la dégaine de mauvais garçon de films hongkongais et à la faconde séductrice.
Par l'entremise d'une tante paternelle vivant en Allemagne, Gurvan et son frère reprennent contact avec l'homme qui n'avait donné aucune nouvelle pendant quinze ans. Lors de premières retrouvailles dans un Buffalo Grill à Paris où le père présente à sa nouvelle femme Anya cette progéniture née en France dont il ne lui avait jamais parlé, la statue du commandeur commence à vaciller... Gurvan ne se l'imaginait pas si petit de taille mais surtout si étrange dans ses comportements. La suite en Indonésie ne fera que corroborer des interrogations sur la véracité des dires de ce père affabulateur dont l'une des obsessions est de ne pas perdre la face.
Alors qu'il narre sa quête du père, l'entremêlant de ses propres souvenirs d'enfance brestoise auprès de Mamie Gégé, Gurvan Kristanadjaja livre une réflexion sur l'identité du métis, à jamais perçu comme l'étranger de son autre part. En l'espèce, asiatique en France, occidental en Indonésie... La difficulté d'habiter le no man's land d'une hybridation non reconnue se double de l'angoisse de transmettre, que seul l'amour qui pardonne au parent défaillant et croit à la génération qui vient peut rédimer.
Amok, mon père
Philippe Rey
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782384820771