Avec certains sports la littérature se montre bonne fille. Il y a la boxe et le rugby, beaucoup, le football, un peu, mais aucun ne fut mieux servi que le cyclisme. Sans doute parce qu'il y est question de mythe, du peuple et de l'enfance, les "forçats de la route" (expression d'Albert Londres) occupent une bonne place au rang des héros du siècle passé. Buzzati, Mac Orlan, Blondin bien sûr, mais aussi, plus près de nous, Eric Fottorino, Philippe Bordas ou Philippe Delerm ont chanté leur épopée. Paul Fournel, qui publie ces jours-ci Anquetil tout seul, est loin de détonner en aussi prestigieuse compagnie. Le sport, et plus particulièrement le sport cycliste (n'a-t-il pas déjà écrit Besoin de vélo, Seuil, 2001, et Méli-vélo, Seuil, 2008) est l'une des marottes de l'auteur des Athlètes dans leur tête (Ramsay, 1988). Il est donc question cette fois de dresser le portrait chinois du plus énigmatique des coureurs, premier quintuple vainqueur (durant les années 1950 et 1960) de la Grande Boucle. Et comme d'habitude en pareil cas, l'exercice d'admiration s'accompagne de variations autobiographiques. Se souvenant de celui que l'on surnommait "le grand Jacques", Fournel extrait de sa mémoire le petit Paul, cet enfant de Saint-Etienne un peu trop gros pour devenir lui-même champion cycliste.
Chez lui en tout cas, Anquetil (sa vie, aussi) est une oeuvre. Ce serait donc l'histoire d'un gamin d'origine modeste qui avait sur son vélo quelque chose de la condescendance glorieuse des aristocrates et finirait ses jours en gentleman-farmer du bocage normand. Contrairement aux autres grands noms de l'histoire de son sport, il ne trouvait nul plaisir dans la souffrance, nulle motivation dans la compétition. C'était un féodal en état d'insurrection permanente qui n'aimait que les guerres éclair, dominer, les femmes (une vie privée chaotique) et l'argent. Un solitaire qui haïssait la solitude. C'était une force qui va, un éclat >de style dans la France un peu triste des Trente Glorieuses. Il y avait dans tant de grâce et de mystère mêlés de quoi faire naître des vocations : celle de coureur cycliste comme celle d'écrivain.