ITALIE

Ginevra Bompiani : la France pour modèle

Ginevra Bompiani : la France pour modèle

Romancière - La station thermale sort le 4 octobre chez Liana Levi -, Ginevra Bompiani a fondé une petite maison indépendante, Nottetempo, qui fête ses 10 ans, et milite pour le prix unique en Italie.

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Par Claude Combet
avec Créé le 23.10.2014 à 12h36

Ginevra Bompiani- Photo CLAUDE COMBET

Fille de Valentino Bompiani, qui a fondé en 1929 à Milan la maison qui porte son nom (connue en France notamment pour ses dictionnaires des oeuvres et des auteurs, repris en "Bouquins"), Ginevra Bompiani a fait ses premières armes, après ses études, dans l'entreprise paternelle. Elle y est revenue à l'âge de 24 ans pour lancer la collection de littérature fantastique "Il Pesanervi" (en hommage à Antonin Artaud), dont les 15 titres sont toujours cotés chez les libraires d'ancien de la péninsule. Malgré l'admiration qu'elle portait à son père ("un homme très intelligent mais exigeant, avec lequel il n'était pas facile de travailler, surtout quand on était sa fille"), et parce qu'elle avait besoin de temps pour écrire, elle s'est éloignée de l'édition pour enseigner la littérature anglaise à l'université de Naples, puis la littérature comparée à l'université de Sienne. En 1973, "quand l'édition a commencé à changer", Valentino Bompiani a vendu sa maison que ses filles n'ont pu racheter, faute d'argent, et elle est tombée dans l'escarcelle du groupe RCS (Rizzoli Corriere della Sera).

"L'édition italienne est désormais aux mains des financiers. A l'exception de Feltrinelli, les seuls éditeurs à posséder leur entreprise sont les petits", constate-t-elle. Entre les quatre grands groupes, Mondadori, GEMS (Gruppo editoriale Mauri Spagnol), ses "cousins" (Ginevra est aussi apparentée à la famille Mauri), RCS et Feltrinelli, et une myriade de petites structures, il n'y a guère de place dans le paysage italien pour des éditeurs de taille moyenne. "Les grands groupes éditoriaux ont tendance à publier les livres qui se vendent. Ils attirent les auteurs importants parce qu'ils ont les moyens de les payer", observe-t-elle avec franchise, tout en se désolant : "Il y a de moins en moins de lecteurs en Italie. La culture a été rasée par Berlusconi et sa bande pendant vingt ans. S'y est ajoutée une grave crise économique qui a encore réduit le nombre de lecteurs."

Editrice engagée

Ginevra Bompiani a fait le choix de l'indépendance quand, après une carrière universitaire, elle a fondé en 2002 Nottetempo avec Roberta Einaudi, nièce de Giulio Einaudi, autre grand nom du monde éditorial italien. Aujourd'hui, elle possède la majorité des parts et fête les 10 ans de la maison romaine, qui compte désormais une équipe de 8 personnes et un catalogue riche de 200 titres, diffusés par... les cousins de GEMS : l'édition italienne est bien une affaire de famille. Volontairement élitiste, Nottetempo publie des livres "de qualité, imprimés sur du beau papier, dans un format et des caractères confortables". Son plus gros succès - Mal de pierre de Milena Agus, qui s'est vendu à 130 000 exemplaires - "n'a pas marché à sa sortie. C'est Liana Levi qui l'a lancé. Une fois le succès français installé, les Italiens ont commencé à s'y intéresser", raconte-t-elle. Nottetempo a cependant acquis une réelle reconnaissance auprès des grands auteurs italiens grâce à ses célèbres "Sassi", une collection de très courts textes à trois euros, qui, hélas, "beaucoup copiés, se vendent moins aujourd'hui". En ce moment, cette intellectuelle exigeante s'intéresse aux "écrivains du réel" venus de l'Est et vient de publier la Polonaise Olga Tokarczuk.

Ginevra Bompiani est une éditrice engagée. "La France est mon modèle. Il n'y a pas chez vous, me semble-t-il, ce gouffre entre groupes et petits éditeurs. Antoine Gallimard et Liana Levi ont le même regard sur la culture, même s'ils exercent leur métier différemment", juge-t-elle en ajoutant : "Chaque fois qu'on me demande de parler des librairies, je cite des exemples français". Avec d'autres petites maisons indépendantes, elle a fondé un groupe informel, I Mulini a vento (Les Moulins à vent), afin de défendre une loi sur le modèle de la loi Lang. Elle les représente au Parlement italien et repart en campagne ces jours-ci pour rediscuter les termes de la "legge Levi", votée en septembre 2011, qui limite à 15 % la remise mais autorise les soldes onze mois de l'année. "C'est une loi permissive qui ne punit pas ceux qui la transgressent. On s'est battu et on a réussi à limiter les promotions à 25 % du prix du livre. Mais que pesons-nous face aux groupes qui possèdent des chaînes de librairies comme Mondadori, Feltrinelli, GEMS ou Giunti ?", se désole-t-elle, tout en reconnaissant "une solidarité naissante entre éditeurs et libraires indépendants ». "Les remises et promotions poussent les lecteurs à acheter non pas le livre qu'ils veulent, mais celui qui leur est offert. Ils mettent dans la tête du public que le livre est un produit quelconque, moins nécessaire que les autres, dont on peut se passer", insiste-t-elle. Elle n'en est pas passéiste pour autant, et Nottetempo s'est tout de suite lancé dans le numérique, en proposant simultanément ses nouveautés dans les deux versions, papier et électronique. Mais elle est lucide : "Le numérique est encore un marché minuscule. J'aime le papier et je lis sur iPad. Les Italiens raffolent des objets technologiques, mais cela ne veut pas dire qu'ils lisent sur ces supports."

Ecrire par bouffées

Ginevra Bompiani est aussi auteure, et l'écriture est "ce qui la définit". Si elle avoue avoir tenté son premier essai à 7 ans - jalouse d'une jeune Anglaise de 8 ans que son père avait publiée (elle se souvient encore du titre du livre) -, elle a écrit son premier roman à l'âge de 27 ans, "sous l'influence du Gruppo 63", roman qu'elle a ensuite renié. Elle désigne Les règnes du sommeil (traduit en 1986 chez Verdier) comme son premier livre. Depuis, elle compte trois essais, qui n'ont pas été traduits en français, et six fictions. Elle écrit quand ses activités d'éditrice lui en laissent le temps, "par bouffées, plusieurs livres à la fois, un roman, un essai, des nouvelles... toute une petite flottille". Il s'est passé huit ans entre Le portrait de Sarah Malcolm, traduit au Seuil en 2003, et La station thermale, qui paraît le 4 octobre chez Liana Levi (voir encadré). En Italie, La stazione termale a été publié en 2011 par Sellerio, son premier éditeur, tandis qu'Et al. edizioni a entrepris de republier cette année quatre de ses livres, dont son essai sur L'espace narratif : Jane Austen, Emily Brontë, Sylvia Plath. "En France, j'ai été fidèle à mon traducteur, René de Ceccatty, que j'ai suivi de L'Arpenteur au Seuil, puis chez Stock", souligne-t-elle.

Au fil des ans, francophone et souvent parisienne, elle a noué une amitié "professionnelle" avec sa compatriote Liana Levi. "Je ne lui ai pas dit que j'avais écrit un livre, pour ne pas l'embarrasser. C'est mon agent qui lui en a parlé. Elle l'a lu, elle l'a aimé, et le publie", avoue-t-elle modestement.

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