Roman/France 7 février Bruno Gibert

Au début des années 1990, dans le quartier des Batignolles, deux garçons encore jeunes, entre 25 et 30 ans, se rencontrent, se choisissent, se lient d'amitié. L'un, Bruno, le narrateur, issu d'une famille bourgeoise un peu déclassée, tente de devenir peintre. En dépit de son bon goût : Soulages, Bazaine, Vieira da Silva, Motherwell, Rothko..., et des efforts de son maître, John, il se cherche un style, une originalité, et n'y parviendra jamais. Après avoir été refusé dans à peu près tous les salons, fait un bide à Locarno, sa seule exposition, il se consacrera finalement à l'écriture, avec plus de réussite. Il publie son premier roman, Claude, en 2000 (chez Stock), et est toujours auteur, notamment d'albums pour la jeunesse. Bruno est également marié, père d'une fille.

L'autre, Ed, alias Edouard Levé, né dans une famille de la grande bourgeoisie de Neuilly, diplômé de l'Essec, est un marginal absolu, une sorte d'extraterrestre. Il n'a jamais voulu travailler au sens vulgaire du terme, et s'est lancé dans l'art conceptuel, la photo, la vidéo. Obsédé par le sexe, la pornographie, misogyne, hypocondriaque, d'une radinerie maladive, farouchement solitaire, c'était un post-dadaïste d'une autre époque, égaré dans la nôtre, à l'image de cette maison familiale de la Creuse, complètement déglinguée, où il « recevait » ses rares amis. Comme Bruno, sur le tard, il s'est mis à l'écriture, non sans quelque succès dans les milieux d'avant-garde. « Nous étions jeunes, nous étions cultivés, nous étions pluriels », écrit Gibert. « Branchés », même, comme on disait alors.

Mais Ed s'est suicidé en 2007, à 42 ans, et le livre de Bruno Gibert lui est dédié. C'est un récit sensible, truffé de références et de citations, qui, par-delà leur histoire d'amitié, « à la vie à la mort », contée sans pathos aucun, plutôt avec un certain décalage, parfois un humour potache, trace le portrait d'une époque, les années 1990-2000, et tente de la théoriser. On ne pouvait pas deviner à ce moment-là qu'elles sonnaient le glas d'un « vieux monde », celui de l'insouciance, assassinée un certain 11-Septembre.

Bruno Gibert
Les forçats
L’Olivier
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 16 euros ; 160 p.
ISBN: 9782823614206

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