Jérémie Moreau n'est pas, pour Penss et les plis du monde, si loin des champs de lave, des rochers glacés, des coulées de boue et de neige qu'il peignait avec l'Islande du XVIII^e siècle dans La saga de Grimr (Delcourt, 2017). Cet album lui a valu le Fauve d'Or du festival d'Angoulême 2018. A nouveau au plus près de la nature, le voilà déployant - dépliant, pour reprendre son image des plis de la matière inspirée de Leibnitz - dans de multiples teintes et formats, sur des dizaines de pages, les cycles sans cesse renouvelés de la vie et de la mort. Le dessinateur insère son récit dans le mouvement de génération permanente des plantes, des hommes et des bêtes dans un ouvrage aussi poétique et bouleversant que le précédent.

La prégnance de la nature et des éléments est d'autant plus forte dans Penss que l'action de ce nouvel album se situe dans la préhistoire, dans un univers de chasseurs-cueilleurs dont l'empreinte environnementale est encore très faible. Jeune homme solitaire et contemplatif, Penss ne veut ni ne sait chasser. Il se trouve ainsi peu à peu relégué par son clan. Lorsque ce dernier se déplace pour échapper aux rigueurs de l'hiver qui vient, il doit se réfugier dans une grotte avec sa mère, qui ne survivra pas. Resté seul, sans moyen de subsistance, il est contraint à l'impensable avant de trouver, par l'observation attentive des plantes, les moyens de cultiver celles qui pourront lui permettre de se nourrir.

L'invention de l'agriculture, le passage d'une économie de cueillette à une économie de culture et d'élevage est au cœur du propos de Jérémie Moreau. Mais celui-ci n'aborde pas cette transition majeure du mésolithique au néolithique en historien, mais en conteur, en poète et en philosophe. Il livre une fiction qui tient aussi bien de l'essai de métaphysique graphique.

L'arrivée d'un nouveau clan sur le terrain que Penss a commencé d'ensemencer fait émerger, après les premières tensions entre le jeune homme et les nouveaux arrivants, d'autres défis. Majoritairement séduit pas le projet de Penss, le clan l'adopte. Mais il va également se diviser et produire les germes de sa propre perte. Au passage le jeune homme solitaire qui veut créer un monde nouveau se trouve confronté aux enjeux de la vie en société, de la reproduction de l'espèce ou encore de l'aspiration de l'humanité à l'éternité. Rien de moins.