Les héros sont fatigués. Ces Borders et Red Group aujourd’hui disparus. Ces Barnes & Noble, Waterstones, Thalia, Weltbild, Virgin, Chapitre et même Fnac, dont la prochaine mise en Bourse après plusieurs années de vaines recherches d’un acquéreur s’annonce pleine d’incertitudes. Les grandes surfaces culturelles ont structuré pendant un quart de siècle le commerce du livre dans les pays développés. Elles ont largement contribué à son dynamisme et à sa modernisation. Géantes aux pieds d’argile, elles sont aujourd’hui prisonnières des taux de rentabilité, incompatibles avec le secteur, exigés par leurs actionnaires.
Les grandes chaînes sont moins les victimes du numérique que de l’essor du commerce en ligne en général, quel que soit son support, physique ou numérique, porté par une entreprise plus gigantesque encore. Le self-service qu’elles ont développé à partir des années soixante-dix et quatre-vingt a représenté un progrès considérable par rapport à la librairie de comptoir des décennies précédentes. Mais son industrialisation à outrance, avec comme corollaire la standardisation et la réduction des assortiments, l’affaiblissement du conseil et la négligence des services aux clients a finalement fragilisé ses promoteurs face au nouveau concept de self-service à domicile et à son puissant leader mondial.
Rendue nécessaire par la remise en cause des modèles économiques antérieurs, la restructuration du marché du livre est inéluctable. Elle est d’ailleurs déjà en marche. Mais ses acteurs traditionnels ne sont pas condamnés. Encore faut-il qu’ils ne cèdent pas à la tentation de diluer le livre parmi les autres produits de consommation de masse, qu’ils repensent leur modèle en prenant appui sur les atouts de la production éditoriale et sur la relation singulière qu’entretiennent avec elle les lecteurs. Ce n’est pas un hasard si, comme nous le pointons dans le dossier de ce numéro, toutes les formations aux métiers du livre mettent aujourd’hui l’accent sur l’enjeu de la médiation.