Fin 2016, Petit pays de Gaël Faye (Grasset), premier roman d’un rappeur inconnu du monde des lettres, s’est imposé comme le phénomène de la rentrée littéraire. L’histoire de Gaby, qui voit à travers ses yeux d’enfant la guerre civile au Burundi, a séduit massivement. Une surprise à 350 000 exemplaires, à laquelle le rappeur s’attendait d’autant moins qu’il n’a jamais pensé faire de l’écriture son métier.
"Je pensais que cette profession était réservée à l’élite", confie-t-il sur la terrasse d’un café de la Bastille, à Paris. Résidant au Rwanda depuis deux ans, l’auteur est exceptionnellement en France pour promouvoir son deuxième album, Rythmes et botanique. "On m’a toujours répété que la littérature était la voie royale vers le chômage. J’avais peur de ne pas pouvoir en vivre", reprend-il. Pour gagner sa vie, Gaël Faye part d’abord travailler dans un fonds d’investissement à Londres, où il a l’impression de "dilapider [son] temps de vie". De retour en France, il se donne un an, peut-être deux, pour retourner à sa passion de l’écriture, qu’il entretient depuis l’âge de 13 ans, lorsqu’il est contraint de quitter son Burundi natal, menacé par la guerre civile.
"Une chanson, c’est du sirop"
En 2013, il sort son premier album de rap, Pili pili sur un croissant au beurre. Petit pays, publié trois ans plus tard, est directement inspiré des chansons de cet album. "Une chanson, c’est du sirop. Le roman, c’est l’eau qu’on y ajoute", estime l’apprenti écrivain. Diluer le sirop s’est pourtant révélé difficile, car "l’écriture du roman n’était pas naturelle. Je polissais chaque phrase pour avoir du rythme. C’était indigeste", explique Gaël Faye qui a dû "désapprendre l’écriture du rap" pour basculer vers celle du roman. Mais Petit pays fait une percée en librairie à sa parution, il entre dans les sélections des prix littéraires, obtient le prix du roman Fnac et le Goncourt des Lycéens. Depuis, "beaucoup de personnes au Rwanda pensent que je suis lycéen. Alors que j’ai 34 ans !", s’amuse-t-il en jetant un regard autour de lui.
Stéréotypes
Cette renommée littéraire accélère sa carrière musicale même si, lorsque le musicien congolais Ray Lema passe à côté de lui, Gaël Faye doit se présenter : "Vous ne me connaissez pas. Je suis rappeur et j’ai écrit un livre. J’aime beaucoup ce que vous faites. Est-ce que vous accepteriez de venir me voir en concert ?" Le rappeur écrivain, pour qui "le roman n’a été qu’un instant", tire le meilleur de chaque univers. Du monde littéraire, il reconnaît qu’il avait une vision chargée de stéréotypes. "Je pensais que les écrivains venaient tous de Saint-Germain-des-Prés, mais je ne suis pas tombé sur des personnes qui habitent sur une autre planète", reconnaît-il, ne cachant pas son plaisir d’avoir eu des "conversations profondes" avec Leïla Slimani (Chanson douce), Nathacha Appanah (Tropique de la violence) ou Jean-Baptiste Del Amo (Règne animal), tous trois publiés chez Gallimard. "C’est quelque chose que j’ai du mal à retrouver dans le rap. Les auteurs connaissent leur sujet alors que les rappeurs peuvent parfois donner plus d’attention à la forme qu’au fond", observe-t-il.
Du rap, il aime cependant la spontanéité quand le monde littéraire lui apparaît "un peu plan-plan". Il s’étonne de la forme donnée aux rencontres avec les écrivains, dans lesquelles "le public est assis et écoute religieusement l’auteur". Cela l’a dérangé lors d’une rencontre auteurs-chanteurs au salon Livre Paris, en mars dernier, à laquelle il était présent au côté de Magyd Cherfi (Ma part de Gaulois, Actes Sud) ou du musicien et chanteur Gaëtan Roussel (Dire au revoir, Flammarion). "C’était un très beau plateau, mais j’attendais plus de passages entre les romans et la musique pour créer un moment vivant, au lieu que ce soit figé", regrette-t-il.
Pour étayer ses propos, Gaël Faye sort son téléphone portable de sa poche et montre une vidéo de lui en train d’improviser un slam sur le pavillon des Lettres d’Afrique du même Livre Paris. Lors de sa représentation, il ne parle pas. "Les auteurs sont un peu des moulins à paroles qui s’écoutent. Il faut toujours expliquer et expliquer. Il est possible de trouver d’autres formes" de rencontres, assure- t-il en citant son échange, fin mars, avec les élèves du lycée Blaise-Cendrars qui avaient écrit des textes à partir de son roman, dans le cadre du festival Hors limites de Seine-Saint-Denis.
"Il faut réinventer la littérature, la parole doit être vivante, pas reliée de cuir au fond d’une bibliothèque", assène Gaël Faye, qui rejette la place, sur un "piédestal", donnée à l’écrivain, même si cela peut avoir "du sens pour le lecteur". Il préfère créer, s’inventer, trouver sa voie et sa voix. "Il faut intéresser le lecteur et ne pas paraître lointain. On ne peut pas faire sa star parce qu’on a remporté quelques prix et qu’on a vendu quelques milliers de livres", affirme- t-il, lui qui cherche à cultiver cette proximité. Pendant les deux heures de sa séance de dédicaces à Livre Paris, il a déployé son corps fin de 1 mètre 93 devant chaque personne qui se présentait devant lui, l’accueillant toujours d’un "Comment ça va ?".
Entre deux concerts
Entre deux opérations de promotion, deux concerts et deux avions, Gaël Faye travaille déjà sur un autre roman. "Très loin" du Rwanda et de ses problématiques. "J’étais déjà sur ce projet quand Petit pays est sorti. C’était un conseil de Juliette [Joste, son éditrice chez Grasset, NDLR]", explique-t-il, refusant d’en dire plus.
A terme, il veut écrire un "grand roman" sur le génocide, "un projet dense qui dise tout, qui remonte à 1894, à l’arrivée du premier colon allemand au Rwanda, et qui finisse avec [sa] fille Suzanna". S’il rêve d’autres aventures littéraires, Gaël Faye préfère toutefois se considérer comme un auteur plutôt que comme un écrivain. Au bout d’un seul roman, il estime "n’avoir encore rien pigé" à la mécanique littéraire. Il lui en faudrait encore "quatre ou cinq" avant de pouvoir "ajouter "écrivain" sur [son] CV".