En 2013, Gabrielle Filteau-Chiba quittait son travail, sa maison et le confort de Montréal pour une cabane en bois dans la région de Kamouraska. L'idée d'écrire ne l'avait pas encore effleurée mais s'est imposée au contact d'une nature sauvage malmenée par les hommes. Sous sa plume pourtant, l'engagement écologique ne prend jamais le pas sur la littérature, malgré la rage embusquée derrière chaque mot. Si Encabanée (Le Mot et le Reste, 2021, « Folio », janvier 2022) témoignait déjà avec force de cet équilibre, Sauvagines révèle l'écrivaine canadienne comme une nouvelle voix à découvrir absolument.
« Fallait que je m'éloigne de ces gens avant de me mettre à leur ressembler. Il me fallait une forêt à temps plein, à flanc de montagnes qui s'en foutent des frontières, où tous sont sur un pied d'égalité face aux éléments, au froid, à la pluie, au vent. » Raphaëlle est garde forestière et vit seule avec sa chienne Coyote à la lisière du monde dit civilisé, « au pays des hommes réchauffés par l'alcool et l'envie de tuer ». Son rôle : empêcher les braconniers de décimer les populations d'ours, de lynx, de coyotes et d'orignaux sur un territoire laissé aux mains de fonctionnaires préférant fermer les yeux plutôt que de se priver d'une manne financière. Quand Raphaëlle retrouve sa chienne gravement blessée par un collet, elle lance un avertissement : « Toi, braconnier, je vais te tendre un piège à hauteur d'homme. » Quelques jours plus tard, des empreintes de bottes encerclent sa roulotte, un collet « croûté de poils et de sang séché » est déposé à sa fenêtre. Mais Raphaëlle n'est pas du genre à se laisser intimider et se lance à corps perdu dans une chasse à l'homme, aidée par Anouk, l'âme sœur qui, comme elle, a tout quitté pour protéger la forêt boréale, et Lionel, le vieil ermite, « mentor bougonneux » et père de substitution.
Le lecteur ne sort pas inchangé de cette traque haletante, empreint des mots d'une héroïne qu'il aura faits siens : « Je me suis souvent sentie comme la sauvagine, dépouillée de mon droit de vivre librement. J'ai été élevée pour être productive, pour servir le système, pour consommer ce qui fait tourner la grande roue capitaliste. » La sauvagine, ou l'ensemble des peaux les plus communes vendues par les chasseurs sur le marché de la fourrure... À travers ce texte conjuguant le lyrisme au réalisme nu, Gabrielle Filteau-Chiba livre un grand roman d'aventures, qui sème en nous les graines d'une révolte qu'aucun collet n'est en mesure d'étouffer.
Sauvagines
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Tirage: 11 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 368 p.
ISBN: 9782234092266