Exposition

« Formes de la ruine », ou les traces du fugace

Formes de la ruine, au Musée des Beaux-arts de Lyon jusqu'au 3 mars - Photo MBA Lyon

« Formes de la ruine », ou les traces du fugace

L’exposition du Musée des Beaux-arts de Lyon décline de manière magistrale le thème des ruines et nous invite à réfléchir à ce qui reste quand tout a disparu. Une belle réflexion sur la mémoire et l’oubli qui se poursuit sous un catalogue aussi beau qu’intelligent.

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Par Sean Rose
Créé le 09.02.2024 à 18h14

« Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence ».  Ces mots de Chateaubriand reflètent l’esthétique particulièrement en vogue à l’époque romantique. Mais pas seulement. À bien y réfléchir, les vestiges ont fasciné en tout temps et partout dans le monde. Les ruines sont l’illustration d’un paradoxe : ce qui reste est la promesse que rien ne saurait durer. Une colonne brisée ou un fragment de frise sculptée nous révèlent en creux ce qui a été perdu : la majesté d’un temple, la monumentalité d’un palais. Aussi, en apprenant le terrible incendie qui ravagea Lugdunum (nom latin de Lyon), le philosophe stoïque Sénèque ne dit-il rien d’autre dans sa lettre à Lucilius, que tout retourne à la poussière : « Ici une seule nuit a fait passer la ville de l’opulence au néant. »

Et c’est justement dans la capitale des Gaules, au Musée des Beaux-arts, que se déploie une magistrale exposition sur ce thème des traces du fugace « Formes de la ruine ». Reprenant l’idée de son livre Une histoire universelle des ruines : Des origines aux Lumières (Seuil, « La Librairie du XXIe siècle »), Alain Schnapp commissaire invité, a étendu son propos en ne souhaitant pas tant réduire la ruine à un concept qu’en l’appréhendant « comme un champ et non une catégorie homogène », ainsi que le souligne Sylvie Ramond directrice du Musée des Beaux-arts de Lyon.

L’exposition s’ouvre sur un tableau du peintre romantique spécialiste ès ruines, Hubert Robert, Vues imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines (1796), donnant le « la » de cette véritable symphonie du temps qui passe. Car la ruine convoque autant le passé que l’imaginaire qui se projette dans le futur où l’on regretterait notre temps présent, comme mû par une nostalgie anticipée.

Les salles déclinent les âges de l’humanité : de la tablette d’argile mésopotamienne de la lamentation des ruines de Lagash vers 2340 avant J.-C., ou la scène érotique d’Herculanum, Ier siècle aux œuvres contemporaines telle l’impressionnante maquette de ville rétro-futuriste en carton, laiton, bois et plâtre Nymphées (2019) signée Eva Jospin, entre anticipation et fantasy. Balayant des aires géographiques extra occidentales, avec ici une statuette Fang du Gabon dite « gardien de reliquaire », là un brûle-parfum tripode Ming… « Formes de la ruine » articule de manière transversale la mémoire et l’oubli, le matériel et l’immatériel, les notions de nature et de culture.

 Amoncellement de cadavres dans cette eau-forte de Goya ou reliefs d’un repas immortalisés dans la sculpture de Daniel Spoerri (en fixant l’assiette, les couverts, le cendrier sur la table de restaurant pour son Tableau-piège, 1968, l’artiste se fait archéologue de la société de consommation)… le parcours pose la question des vestiges sous toutes ses formes et au-delà des pierres mutilées. Une réflexion qui se poursuit dans l’excellent catalogue dirigé par Sylvie Ramond et Alain Schnapp, paru aux éditions Lienart, avec un « ruinier », à l’instar d’un imagier – abécédaire de la ruine, d’ « Allemagne année zéro » au redécouvreur de l’antique « Johann Joachim Winckelmann ». Histoire de poser quelques pierres sur lesquelles méditer.

 

 « Formes de la ruine » Musée des Beaux-Arts de Lyon, jusqu’au 3 mars, www.mba-lyon.fr

Catalogue, sous la direction de Sylvie Ramond et Alain Schnapp, Liénart éditions,464 p., 45 €

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