"C’est bien la première fois que j’entends que les auteurs ont droit à des formations", confie une auteure jeunesse. Elle n’est pas la seule. D’après les estimations, moins de 10 % des auteurs professionnels français auraient déjà bénéficié de leur droit à la formation. Pourtant, depuis 2012, tous les artistes-auteurs, ainsi que leurs employeurs, versent une part de leurs revenus à un fonds destiné à financer leur formation professionnelle. Il est affecté aux neuf agences Afdas (Assurance formation des activités du spectacle) réparties sur le territoire français. Les auteurs peuvent ainsi apprendre une nouvelle langue, s’entraîner à valoriser leur carrière sur les réseaux sociaux ou encore suivre un médecin légiste dans son travail pour améliorer leurs polars. Problème : beaucoup l’ignorent.
Depuis 2013, les cotisations ont atteint la barre des dix millions d’euros, mais cette somme est "complètement sous-utilisée", d’après Geoffroy Pelletier, directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL). Théoriquement, chaque auteur "ayant droit" disposerait de 7 200 euros annuels maximum alloués à la formation, mais peu sont réellement au courant de cette possibilité. "D’une part, les auteurs ne sont pas assez informés sur le sujet, reconnaît Geoffroy Pelletier. D’autre part, certains n’en voient tout simplement pas l’intérêt. Enfin, peut-être que l’offre de formation proposée n’est pas encore assez adaptée à leurs besoins, et pas assez développée", estime-t-il.
"Non seulement la plupart des auteurs n’en profitent pas, mais les demandes de formation peuvent se révéler compliquées, ajoute Marc-Antoine Boidin, un auteur membre du Snac BD, la section BD du Syndicat national des auteurs et compositeurs. Les catalogues de formation concernent surtout les auteurs de l’écrit, il faut donc déposer des dossiers pour demander d’autres types de formations." Et de raconter que, pour pouvoir suivre une formation de storyboard d’animation ouverte à partir de quatre personnes, il avait poussé des amis à monter un dossier avec lui.
Conditions d’accès assouplies
Pour combler ces lacunes, l’Afdas commence à élargir les conditions de recevabilité des artistes-auteurs. Auparavant, il fallait adhérer à l’Agessa ou être affilié à la Maison des artistes, pour revendiquer son droit à la formation. Depuis le 1er novembre 2016, le fait de justifier de 9 000 euros de droits d’auteur sur trois ans suffit. Ces conditions d’accès "doivent encore s’élargir", estime Geoffroy Pelletier, car elles laissent toujours une large part d’auteurs "non ayant droit". "Si vous remplissez les conditions pour y avoir droit, n’hésitez pas. Les auteurs doivent prendre possession de ce nouvel outil pour lequel ils cotisent", encourage de son côté le site Internet de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse.
Pour réveiller les auteurs, la SGDL a créé spécialement début janvier un poste de responsable de la formation. "Non seulement le poste est nouveau, mais la mission est nouvelle aussi", explique son titulaire, François Nacfer, auparavant chargé de la comptabilité de la Maison des écrivains (1). "Pendant vingt ans, j’ai un peu dépassé mon rôle de financier, j’ai conseillé et accompagné les auteurs dans leurs démarches", poursuit-il, précisant qu’une enquête sur les besoins des auteurs en matière de formation serait bientôt lancée. Dans le même temps, la SGDL continue d’organiser des "sessions de professionnalisation", juridiques ou fiscales, à destination surtout des auteurs non éligibles à l’Afdas.
Des formations gratuites locales
Ces derniers peuvent aussi se tourner vers les agences régionales du livre habilitées à la formation, dont certaines, comme en Paca, proposent plusieurs dizaines de formations pour auteurs, depuis des "Initiations à Facebook" jusqu’à "Prendre la parole en public". "Nous organisons des ateliers ou des journées professionnelles dans un esprit différent de l’Afdas, plus informel", explique Philippe Camand, chargé de la vie littéraire à l’Arald, l’agence de la région Rhône-Alpes-Auvergne, qui propose gratuitement des cours de logiciels pour les poètes ou des formations aux ateliers d’écriture. "60 % de nos inscrits n’ont pas le droit à l’Afdas", précise-t-il.
La Maison des auteurs d’Angoulême propose elle aussi depuis plusieurs années des formations juridiques, sociales ou techniques. "Ces rencontres sous forme de conférences ou d’interventions ont évolué au fil du temps sous la forme d’ateliers restreints permettant de répondre très précisément aux demandes des auteurs. Nous avons en effet noté une plus grande attente de réponses personnalisées", explique Pili Muñoz, directrice de la Maison des auteurs. "Les sujets les plus fréquemment abordés sont les débuts d’activité, le contrat d’édition, le statut fiscal, les prestations sociales", ajoute-t-elle, annonçant la mise en place cette année d’une journée de formation à l’attention des auteurs et illustrateurs BD présents pendant le Festival d’Angoulême.
Besoin de professionnalisation
Pour les principaux regroupements d’auteurs français, les besoins sont bien là. "Nos membres sont très demandeurs, mais leurs ressources ne leur permettent souvent pas de profiter de l’Afdas", déplore Isabelle Dubois, de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. "Les besoins des auteurs, dessinateurs ou traducteurs sont extrêmement variés, observe de son côté Emmanuel de Rengervé, délégué général du Snac. Nos adhérents sont demandeurs de formations, cela peut concerner la vente de leurs travaux, la négociation des contrats, Internet et son potentiel, ou des questions plus techniques comme apprendre à utiliser du matériel ou un logiciel."
Les formations dont les auteurs restent les plus friands sont les formations "transversales" et génératrices de revenus connexes : nouvelles techniques d’écriture, communication, animation de cours et d’ateliers d’écriture ou référencement Web, en particulier. "De manière générale, on note un besoin évident de professionnalisation émanant des auteurs. Etre auteur en 2017, c’est être de plus en plus professionnel, vouloir comprendre ses droits, évoluer dans sa carrière, échanger, s’informer, souligne Geoffroy Pelletier. Oui, les auteurs souhaitent renouveler leur activité professionnelle, comme il est possible de le faire dans n’importe quel autre métier, finalement."
Ces nouveaux outils mis à la disposition des écrivains concourent à effacer la distance qui peut les séparer, par exemple, de leurs éditeurs ou de leurs conseillers fiscaux. "Exit le temps où l’auteur n’était qu’une bonne poire incapable de lire son contrat correctement", lance l’un d’entre eux. De plus en plus, à la manière des éditeurs, des libraires ou des bibliothécaires, les auteurs veulent représenter une corporation, faisant valoir que la chaîne du livre n’existerait pas sans eux.
(1) Voir LH 1112, du 13.1.2017, p. 26.
Les agences régionales du livre se mobilisent
Les structures régionales du livre complètent le dispositif de formation des Afdas en contribuant à la professionnalisation des auteurs à faibles revenus.
Parmi la vingtaine d’agences régionales du livre répertoriées en France par la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill), les plus importantes sont habilitées à dispenser des formations aux auteurs de leurs territoires respectifs. L’agence régionale du livre Paca, à Aix-en-Provence, fait même figure de référence en la matière. Elle a prévu de donner près d’une centaine de formations cette année. Parmi celles-ci, des sessions Photoshop pour les dessinateurs, ou encore trois jours dédiés à l’animation d’ateliers d’écriture, prévus au monastère de Saorge, dans les Alpes-Maritimes. "Au-delà des journées professionnelles ou des tables rondes, nous proposons une offre de formations sur le long terme, via des stages", explique la responsable des auteurs et de la vie littéraire, Claire Castan. Le succès est au rendez-vous : "Il est très rare qu’on n’arrive pas à les remplir", précise-t-elle.
Formations ouvertes à tous
Cette réussite s’explique par l’important vivier d’auteurs habitant la région : 680 sont référencés à compte d’éditeurs, d’après les chiffres transmis par l’agence. "Une autre de nos chances est que nous pouvons aller plus bas que les critères de prise en charge de l’Afdas, et ainsi accepter tous les auteurs, sans conditions de revenus, indique Claire Castan. Du coup, il y a une forte demande, les auteurs nous passent quasiment des commandes de formations."
Dans une autre capitale régionale importante, à Lyon, l’Arald s’ouvre de la même manière à tous les auteurs désireux de progresser et d’apprendre, quels que soient leurs niveaux de revenus. "Nous organisons par exemple des séances de trois jours, gratuites, sur le logiciel Reaper, pour travailler au rapport entre texte et voix. Il est bien évident que beaucoup de poètes qui viennent y participer n’ont pas les ressources nécessaires pour accéder aux formations de l’Afdas, explique le chargé de vie littéraire, Philippe Camand. Nos formations concernent donc beaucoup les problématiques qui touchent les non ayant droit : multi-activité, retraite…"
A des échelons moins importants, les besoins des auteurs se font tout autant ressentir, et les agences régionales du livre plus modestes, non habilitées à donner des formations, se démènent pour accompagner au mieux leurs auteurs. Certaines invitent des instances parisiennes pour des formations gratuites, comme Livre et lecture en Bretagne l’a fait, jeudi 19 janvier à Landerneau (Finistère), avec une journée organisée autour de l’édition jeunesse, en partenariat avec le Syndicat national de l’édition (SNE). "La formation ? Je la fais parfois moi-même en initiant des auteurs au numérique ou aux réseaux sociaux", confie une chargée de communication.
Géraldine Faivre, qui gère la vie littéraire au Centre régional du livre de Franche-Comté, croit aussi en cet accompagnement quotidien et personnalisé des auteurs. "A notre niveau, explique-t-elle, nous accompagnons personnellement nos auteurs dans leurs démarches juridiques, leurs questions autour de leurs rémunérations, ou des projets plus spécifiques. C’est de la professionnalisation au cas par cas !"