Je est un clone. Si Risa est aujourd'hui une cyborg ultraperformante, son enfance bien humaine fut tristement malmenée : elle a grandi dans l'orphelinat d'un quartier interlope de la ville et a servi de cobaye avant d'être rafistolée à coups de prothèses. Elle a des implants multiples et des capteurs qui lui permettent de se connecter sur tous les réseaux et d'absorber les données de n'importe quelle créature, faite de chair ou de micropuces informatiques. Mais depuis quelque temps, une menace se répand entre les flux puissants des réseaux et les volutes de fumées toxiques de la ville... Même si « l'air y sent le métal rouillé, le parfum des simurêves et de l'opium que fument les Virtualiens, l'urine et les déchets », Risa l'aime, cette grande cité labyrinthique de Neolutetia. Mais elle y est désormais en danger et, chose insensée, ses amies l'ont même vue commettre des méfaits dans plusieurs endroits différents alors qu'elle était, au même moment, recluse dans l'Enclave, un lieu secret qui abrite une communauté pacifique et marginale. On y crée des prothèses destinées aux plus démunis, on y produit des drogues − car il faut bien vivre − et l'on y cultive des végétaux.

Dans l'univers affolant et étourdissant créé par Floriane Soulas, qui possède tant de portes d'accès mais offre si peu d'issues, les personnages, évoluant et naviguant entre différentes couches de réalité et de virtualité, se perdant dans les rues électriques et bariolées peuplées d'hologrammes, finissent par devenir invisibles et insaisissables les uns pour les autres. Parfois même ils se dédoublent. Comme dans cette rave-party où Risa croise une femme au visage mi-chouette, mi-humain qui lui ressemble. Elle comprend alors qu'elle a été clonée à son insu... Le lecteur se fraye un chemin entre des foules d'estropiés et de laissés-pour-compte qui, hors de la virtualité, subissent les affres d'un monde poisseux toujours imprégné de cette immuable animalité des êtres humains. Le mystérieux mélange des différentes strates de réalité augmentée génère chez les personnages des émotions contradictoires qui sont au cœur de ce roman cyberpunk vertigineux, à la fois bohème et sauvage. L'autrice − née en 1989 − s'affirme comme l'une des romancières les plus audacieuses de la SF française. Elle joue aussi bien sur le registre du steampunk (avec Rouille, Scrineo, 2018) que sur celui de la fantasy (avec Les noces de la renarde, Scrineo, 2019). Soma s'apparente presque, quant à lui, à un conte mythologique dans lequel les êtres, à force de vivre à travers la chair, l'esprit et les sens d'autres individus et entités, sont constamment menacés de dépersonnalisation. Car comment défendre ses valeurs et son identité quand on subit constamment les intrusions des données intimes d'autrui ? C'est par ailleurs une œuvre qui se saisit avec brio de la question − et de la tentation − du transhumanisme, concept futuriste en vogue s'il en est, et qui en pointe tous les dangers.