Entretien

Florence Lotthé & Louis-Pascal Deforges (Bayard) : « Envisager de nouvelles façons de raconter le monde »

Louis-Pascal Deforges et Florence Lotthé - Photo OLIVIER DION

Florence Lotthé & Louis-Pascal Deforges (Bayard) : « Envisager de nouvelles façons de raconter le monde »

Nommés directrice et directeur généraux de Bayard Éditions en 2017, Florence Lotthé et Louis-Pascal Deforges poursuivent depuis cinq ans l'ambition d'ancrer la maison dans le récit du monde à travers le développement de nouvelles lignes.

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Par Cécilia Lacour,
Créé le 03.05.2023 à 15h35

Livres Hebdo : Le groupe Bayard est devenu une « entreprise à mission » le 15 décembre dernier. Qu'est-ce que cela signifie concrètement pour Bayard Éditions ?

Florence Lotthé : Le groupe s'est doté d'une raison d'être. Laquelle est « À travers mille regards, mille sensibilités, Bayard, éditeur catholique, veut accueillir et accompagner tous les publics à chaque moment de la vie ». La maison est solidaire du groupe. En tant qu'éditeur, cela réaffirme très fortement notre engagement auprès des lecteurs. Celui de raconter le monde à travers des écritures différentes et celle de proposer une multiplicité de récits pour relier les lecteurs les uns aux autres afin de créer un « vivre-ensemble ».

Louis-Pascal Deforges : Le groupe fête ses 150 ans cette année. Cette raison d'être, cette mission vient inscrire Bayard dans cet engagement pérenne. La maison a une histoire éditoriale dans les domaines biblique et religieux. Lorsque le directoire nous a confié à Florence à et moi la direction générale des éditions, nous avons voulu nous ancrer dans son histoire et son humanisme tout en faisant un pas de côté pour développer notre proximité avec le public. À l'image des publications du groupe, nous portons un vrai intérêt à ce que peuvent vivre les hommes et les femmes d'aujourd'hui dans nos sociétés.

 

Vous lancez deux collections adultes « Bayard Récits » et « Bayard Graphic' ». Pourquoi cette diversification sur le marché adulte ?

L.-P. D. : Bayard a toujours publié des ouvrages pour adultes et développe aujourd'hui de nouvelles lignes qui restent fidèles à son identité. Nous portons un engagement en jeunesse depuis longtemps et nous souhaitons emmener le catalogue adulte dans cette direction.

F. L. : La naissance de ces deux collections prend racine dans l'ADN de Bayard. Il s'agit d'un groupe avec une identité double : celle de la presse et de l'édition. Et c'est une très grande richesse pour penser des développements. L'alliance des compétences journalistiques et éditoriales permet naturellement d'envisager de nouvelles façons de raconter le monde à travers un soin porté à l'écriture, des personnages, des intrigues... Dans ces collections, les auteurs peuvent être des journalistes qui ont déjà, ou non, écrit des livres. Nous leur demandons d'entrelacer leur récit du réel tout en mettant en scène leur propre perception, cassant ainsi la distance journalistique qu'ils peuvent avoir avec leurs sujets.

 

Vous avez recruté en mai 2022 Matthieu Mégevand au poste de directeur éditorial du secteur Spiritualité, quelle évolution incarne-t-il ?

F. L. : Nous préférons parler de « littérature intérieure ». Matthieu Mégevand travaille à la publication de titres qui, dès le mois d'octobre, s'inscrivent dans la continuité du catalogue de Bayard tout en portant en eux un certain renouvellement pour toucher un public plus large. L'objectif est de proposer des récits sensibles au plus près des sujets qui préoccupent les lecteurs dans leur monde intérieur.

L.-P. D. : On voit bien que le public n'est plus du tout sensible à des rapports didactiques lorsqu'on veut transmettre de la connaissance ou de l'information. Avec l'essor de l'audiovisuel, nous avons besoin de scénarisation. Ainsi, la littérature intérieure veut retrouver ce lien à la narration et au fictionnel à travers des récits qui évoquent les préoccupations réelles de nos lecteurs en résonance avec celles de nos auteurs.

 

Parviendrez-vous à développer le rayon adulte sans délaisser le segment jeunesse ?

F. L. : Le développement de la jeunesse s'inscrit dans un catalogue plus construit, qui comporte davantage de collections qu'au rayon adulte. C'est au sein de ces collections existantes que nous axons notre évolution. L'exemple le plus flagrant est celui de la bande dessinée jeunesse. Il y a cinq ans, ce segment représentait environ 10 % de notre chiffre d'affaires. Aujourd'hui, nous sommes le premier éditeur de bande dessinée jeunesse et celle-ci compte pour 60 % du chiffre d'affaires. C'est en partie lié à Mortelle Adèle de Mr Tan mais pas seulement. BD Kids, avec des séries comme Ariol d'Emmanuel Guibert et Marc Boutavant ou Anatole Latuile d'Anne Didier, Olivier Muller et Clément Devaux, a connu une progression fulgurante.

L.-P. D. : Le catalogue documentaire est aussi en développement pour aborder de nouveaux sujets. Grâce à notre complémentarité avec le pôle presse, nous arrivons à être en contact et à intéresser les adolescents, qui est un public assez difficile à approcher. Les journalistes ont une attention et une connaissance très fine des lecteurs adolescents et de leurs sujets de préoccupation, comme le genre ou les métiers de demain, que les éditeurs n'ont pas forcément. Nous sommes imprégnés de cette connaissance qui nous permet de proposer un travail assez fin et sensible avec un ton juste pour toucher ce public plus exigeant.

 

Vous continuez à développer la jeunesse, vous relancez l'adulte... Peut-on dire que Bayard se (re)positionne sur le marché ?

L.-P. D. : Nous sommes simplement à l'écoute de notre temps. Cela doit sans doute venir de notre ADN, celui d'un groupe de presse. Les enfants d'hier ne sont pas les mêmes que ceux d'aujourd'hui. L'audiovisuel a pris une place importante dans leur vie même s'ils restent attachés au support papier. Cela nous demande un autre niveau d'exigence et de développement, aussi bien pour les petits que pour les grands. Mais toujours avec l'envie de répondre aux attentes d'un public dont les codes et les exigences ont évolué. D'une certaine manière, le Bayard d'hier existe toujours mais il se transforme avec le monde et il accompagne l'évolution de la société.

 

Vos titres sont diffusés et distribués par Hachette. Quel regard portez-vous sur l'avenir du groupe ?

L.-P. D. : Hachette est un très bon partenaire. Nous collaborons avec le groupe depuis dix ans pour Milan et depuis 2016 pour Bayard. Nous entretenons une relation de confiance avec notre partenaire. Nous sommes bien sûr vigilants mais pas dans un sentiment d'inquiétude.

 

L'édition est aussi malmenée par l'inflation. Quelles stratégies avez-vous mises en place pour tenter d'y faire face ?

F. L. : Nous investissons. Derrière le lancement des nouvelles collections existe une prise de risque. Mais ces créations sont nécessaires pour toucher de nouveaux publics.

L.-P. D. : Comme de nombreux éditeurs, nous avons dû augmenter les prix de nos livres, d'environ 5 % en moyenne. Cela reste assez raisonnable. On sent une accalmie. Après avoir beaucoup augmenté, les frais logistiques ou liés au transport baissent de nouveau. Nous ne sommes pas dans une situation alarmante. Le seul souci que nous avons rencontré est lié à l'impression. Comme d'autres maisons, après deux très belles années, nous avons peut-être un peu trop imprimé en regard de la décroissance des ventes. Nous redoublons désormais de vigilance par rapport à nos premiers tirages et nos réimpressions.

 

En 2017, la maison a adhéré à l'organisme britannique The Book Chain Project afin d'identifier des axes de réduction de son bilan carbone. Cinq ans après, où en êtes-vous ?

F. L. : Avec Claude Briegel, notre cheffe de fabrication, et Robert Owen, le responsable qualité groupe, nous avons relocalisé au maximum notre fabrication en France et en Europe. Seuls les ouvrages complexes, pour lesquels nous manquons de compétences sur le territoire européen, sont imprimés en Chine. Et dans le même temps, nous essayons de faire monter en compétence des imprimeurs européens sur des fabrications plus complexes.

L.-P. D. : Nos papiers sont certifiés FSC et PEFC depuis plusieurs années. Malgré la crise, nous avons continué à utiliser ces papiers au prix d'allongement des délais d'impression et d'augmentation du prix de fabrication. Nous avons aussi pris des engagements en faveur de l'écoemballage en remplaçant le plastique unique par des manchons en carton. Et en fin de vie d'un livre, nous sommes aussi très engagés avec Hachette sur le recyclage. Nous participons à une écocontribution et tous nos livres sont recyclés.

Bio : en dates 

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Développements tous azimuts

Depuis cinq ans, le groupe Bayard mène une politique d'investissement très affirmée. Pour le seul secteur de l'édition, Milan et Bayard ont par exemple lancé les applications ludo-éducatives mobiles BayaM et Maternelle Montessori. Dans la continuité de BayaM, le groupe propose l'émission « BayaM Show ». Chaque semaine, une émission de 45 minutes propose des contenus inédits développés par des spécialistes de l'enfance. L'entreprise s'est aussi dotée en 2021 d'un service de produits dérivés autour de ses personnages emblématiques. Ensemble, Milan et Bayard misent enfin sur l'audio avec la création du label « À écouter » en septembre dernier, ou encore la signature d'un accord de distribution avec la plateforme mobile de livres audio Storytel.

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