Fille de l’éminent Jean Delay (1907-1987), psychiatre, ami de Gide dont il a décrit la Jeunesse, académicien français, Florence Delay est tombée, toute petite, dans la littérature, dans le milieu NRF et dans le théâtre aussi, même par la petite porte. Une prédisposition précoce, si l’on en croit la scène, quasi proustienne, au début de La vie comme au théâtre, où elle raconte le coucher, très ritualisé et impressionnant, de son père, dont elle était l’unique spectatrice, fascinée et curieuse aussi de découvrir le masculin. Du côté de sa mère, en revanche, sur qui se clôt son beau livre, symétrie parfaite, les rapports étaient plus familiers : l’accueillant dans son lit, elle lui lisait, lui jouait presque, Alice au pays des merveilles. De là, le goût de Florence pour l’imaginaire, le rêve et les littératures étrangères, anglaise et espagnole.
Après avoir goûté du théâtre à son lycée La Fontaine (Cyrano, Musset…), passé son bac, elle est devenue apprentie comédienne à l’école du Vieux-Colombier, annexe de la NRF créée par Copeau, encore un ami de Gide. Et, par miracle, elle a été, en 1962, la vedette du Procès de Jeanne d’Arc, le film culte de Robert Bresson. Dans la foulée, elle croise Vilar à Avignon. Fera-t-elle sa vie au théâtre ? Ou bien passera-t-elle, plus raisonnablement, son agrégation d’espagnol ? On sait que Florence Delay a choisi la seconde voie, devenant même assistante à la Sorbonne en plein Mai 68. Mais la passion du théâtre ne l’a, au fond, jamais quittée. Après qu’elle sera devenue écrivaine, puis, à son tour, académicienne française, elle écrira, avec le poète oulipien Jacques Roubaud, le formidable Graal théâtre, cycle de dix pièces où les deux complices se réapproprient rien de moins que la plus haute littérature médiévale, celle qui s’écrivait autour de la Table ronde.
Cet amour du théâtre, Florence Delay l’a encore exprimé dans la NRF, où Georges Lambrichs lui avait proposé de tenir une chronique. En toute liberté, puisqu’elle traitait de spectacles déjà achevés, mais avec la contrainte du bouclage mensuel. Un exercice d’éclectisme dont elle s’est brillamment acquittée, brocardant tel de ses confrères qui avait descendu Graal théâtre, s’amusant de la féminisation du boulevard, saluant la performance scénique de Johnny Hallyday, au Zénith, en 1985. Ou même, l’année d’avant, pour son avant-dernière, la chroniqueuse, paressant en Italie, avait célébré un certain Ruggero Sani, acteur et metteur en scène totalement inventé ! La seule chose qui compte, n’est-il pas, c’est la littérature. J.-C. P.