5 mars > Roman Brésil

Trois jours en janvier, une fin de semaine de "la saison la plus chaude de l’année", entre l’effervescence urbaine de Rio et une nature à deux heures de la mégalopole : dans Corps étranger, la Brésilienne Adriana Lunardi concentre le temps. La romancière intercale les trajectoires de trois personnages convergeant vers une région légèrement montagneuse de l’Etat du Minas Gerais où vit retirée Mariana, une illustratrice botaniste d’âge mûr, archiviste reconnue des plantes locales. Manu, une jeune photographe carioca diabétique qui vient de quitter son compagnon junkie, se réfugie chez Paulo, un galeriste en vue qui la connaît depuis l’enfance. Celui-ci a survécu vingt ans plus tôt à un accident de voiture dans lequel a été tué son amant, José, le frère adoré de Mariana. C’est un tube de "rouge de quinacridone" presque vide, indispensable pour peindre une bromélie, "prête à exhiber sa première et unique floraison ", qui fournit le prétexte d’une rencontre entre ces trois cabossés de la vie. Mais avant la confrontation, la romancière aura minutieusement exposé le présent et le passé de ces êtres qui compagnonnent chacun à sa façon avec la mort, portent l’empreinte, plus ou moins visible de l’extérieur, d’un "défigurement".

Face à une Mariana pétrifiée de chagrin d’avoir perdu un frère brillant et hors normes, jalousement admiré ("la mort de José avait arrêté le monde"), Manu, jeune femme entravée par la maladie chronique qui la menace quotidiennement, apparaît comme un personnage particulièrement attachant. "Ta seule chance, lui disait sa grand-mère, c’est de vivre avec la précipitation d’un enfant et la patience d’un vieillard." La voilà envoyée comme livreuse de couleurs, accueillie par Ramiro, le voisin de Mariana, ancien médecin converti au jardinage, et hébergée dans la vaste maison, toujours en chantier, que Paulo a entrepris il y a des années de faire construire non loin de celle de Mariana et où il n’a jamais passé plus d’une nuit.

Dans une prose aussi attentive aux détails et aux nuances chromatiques que les aquarelles d’une planche botanique, la romancière construit des scènes très visuelles d’où sourd une tension douloureuse : une crise d’hypoglycémie, un dîner dans un restaurant, une séance de rasage, les trottoirs de Copacabana emportés "dans une célébration festive du néant"

Adriana Lunardi, auteure de Vésperas (Joëlle Losfeld, 2005) qui racontait la mort de neuf romancières du XXe siècle (Dorothy Parker, Colette, Virginia Woolf, Katherine Mansfield…), fait partie de la délégation des écrivains brésileins invités au prochain Salon du livre de Paris. Véronique Rossignol

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