S'il est un écrivain à la fois illustre et mal connu, c'est bien Francis Scott Fitzgerald (1896-1940), dont la légende sulfureuse, la vie de bamboche, les échecs et les dérives ont été promus à l'état de mythes, obscurcissant son oeuvre même. Et cela de son vivant, plus ou moins avec son consentement et celui de Zelda, son alter ego, sa complice, ou son âme damnée - au gré des interprétations, témoignages et biographies.
Mis à part deux romans "cultes", Gatsby le magnifique et Tendre est la nuit, et quelques nouvelles éparses, le public français n'avait guère accès à l'oeuvre complète publiée par l'écrivain de son vivant, et notamment ses quatre recueils de nouvelles - dont certains majeurs, comme Contes de l'âge du jazz. Une édition monumentale semblait donc nécessaire, à la fois exhaustive, retraduisant les titres parus il y a plusieurs décennies dont les traductions avaient vieilli, et traduisant les textes demeurés inédits. Choix d'articles ou "essais personnels", en particulier, qui figurent dans le tome II de ce considérable chantier, dirigé par Philippe Jaworski, entouré d'une équipe de traducteurs émérites.
On trouvera aussi, dans le volume II, et augmentée d'un passionnant dossier, la version laissée inachevée par Fitzgerald à sa mort, le 21 décembre 1940, de son dernier roman, connu en français sous le titre Le dernier nabab, alors que l'auteur l'avait intitulé "Stahr. A romance".
Au cours de sa vie d'écrivain - plutôt brève, même s'il a fait jouer dès l'âge de 13 ans ses premières pièces de théâtre -, Fitzgerald embarrassa ses contemporains, qui ne savaient guère où le situer, s'ils devaient le considérer comme un génie (à l'instar d'Hemingway ou de Dos Passos, qui furent de ses amis avant de s'éloigner de lui, devenu difficilement supportable) ou comme un raté superficiel, tout juste bon à signer dans Esquire. Du coup, la critique américaine s'est volontiers réfugiée dans des clichés "générationnels" ou "mythifiants", faisant des Fitzgerald un couple de people destroy, plutôt que de les lire - puisque Zelda écrivit aussi. Soixante-douze ans après la mort de Francis Scott Fitzgerald, il est grand temps de le lire enfin, tel qu'en lui-même et tel qu'il a organisé son oeuvre, revoyant chaque texte avec une extrême minutie et, dans le cas de ses recueils de nouvelles, les composant avec soin. Ce qui n'est pas la marque d'un raté. Car même dans les pires moments de son existence, quand il était fauché, ou lorsqu'il se laissa esclavagiser par Hollywood, Fitzgerald, qui ne jetait rien, travailla sans relâche, sûr d'une seule chose : sa vocation d'écrivain.