Un succès très grand pour moi/6

Finitude et la percée mondiale de "Bojangles"

Thierry et Emmanuelle Boizet. - Photo Olivier Dion

Finitude et la percée mondiale de "Bojangles"

Avant même d’avoir lancé en France en janvier 2016 En attendant Bojangles, dont le tirage initial était prévu à 2 000 exemplaires, l’éditeur bordelais du roman d’Olivier Bourdeaut en avait vendu les droits dans huit pays dont l’Allemagne et les Etats-Unis. Sixième et dernier volet de notre série sur les très grands succès des petits éditeurs.

J’achète l’article 1.5 €

Par Daniel Garcia,
Créé le 12.05.2017 à 01h33 ,
Mis à jour le 12.05.2017 à 10h54

on n’est jamais à l’abri d’un best-seller", résume, non sans humour, Thierry Boizet, qui dirige avec son épouse, Emmanuelle, les éditions Finitude. Leur petite maison, fondée en 2002, continue de surfer sur la vague "Bojangles", du nom du roman d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, qui fut la grande surprise littéraire (et commerciale) de 2016. A ce jour, l’ouvrage a dépassé les 300 000 ventes, dont 15 000 ventes numériques. Il continue de s’écouler à 2 500 exemplaires par mois. Ses adaptations prévues au théâtre, puis au cinéma, devraient relancer un phénomène qui n’a rien d’hexagonal, puisque Bojangles paraîtra dans une quarantaine de pays.

C’est d’ailleurs la grande originalité de ce best-seller inattendu : il a commencé sa carrière à l’international avant d’être publié en France. Un coup de chance qui tient du conte de fées. Car, depuis sa création, voici quinze ans, Finitude était habitué à des ventes modestes, en moyenne 1 500 exemplaires par titre. Toutefois, la maison avait su s’attirer la bienveillance des libraires et de quelques journalistes : "Télérama, ou Jérôme Garcin, au Nouvel Observateur, par exemple, nous suivaient fidèlement. C’est en partie grâce à leur soutien que nous avons tenu toutes ces années", tient à souligner Thierry Boizet.

Une bouteille à la mer

Mais, à l’automne 2015, Finitude publie pour la première fois un livre qui dépasse la jauge habituelle : De quelques amoureux des livres…, opuscule de Philippe Claudel, se vend à 8 000 exemplaires. L’auteur étant lu hors de nos frontières, Thierry Boizet adresse le livre à quelques agents et scouts étrangers. "C’est mon épouse qui m’a suggéré de joindre le fichier d’Olivier Bourdeaut au mail", raconte-t-il. Le manuscrit d’En attendant Bojangles leur était arrivé par la poste quelques mois plus tôt, en mars 2015, un vendredi. Thierry et Emmanuelle Boizet sont tombés immédiatement sous le charme de cette histoire d’amour fou, de danse insouciante et de folie sur fond de Nina Simone. Roman empreint d’une nostalgie heureuse, véritable incarnation littéraire de la saudade chère aux Portugais, Bojangles a pourtant été refusé par tous les grands éditeurs parisiens. Mais, dès le mardi suivant, les Boizet appellent l’auteur. Le contrat est signé sans à-valoir : "Nous n’avons jamais eu les moyens de donner le moindre à-valoir à nos auteurs, qui l’ont toujours parfaitement compris."

Et donc, voilà le manuscrit de Bojangles - le livre n’est pas encore imprimé - envoyé à des agents. Une bouteille à la mer, qui va atteindre plusieurs rivages. C’est d’abord un éditeur allemand, Piper, qui répond en trois jours. A la fin du mois de septembre 2015, Bojangles est déjà vendu dans huit pays, dont les Etats-Unis (Simon & Schuster). En France, l’ouvrage est prévu pour paraître en janvier 2016. "Nous pensions l’imprimer à 2 000 exemplaires, raconte Thierry Boizet. Devant l’engouement étranger, nous avons décidé de le tirer à 10 000 exemplaires dès le mois d’octobre. Tout à coup, nous avons senti que nous avions une chance de passer la barre fatidique des 10 000 ventes, dont nous rêvions depuis quinze ans."

La fin de l’automne se passe en envois de services de presse aux médias et aux libraires : "Nous avons arrosé", résume Thierry Boizet, qui ajoute : "La presse a facilement réagi, en revanche il était plus compliqué de convaincre les libraires que nous avions un livre à plus fort potentiel que d’habitude."Bojangles paraît le 7 janvier 2016 et ouvre le bal - c’est le cas de le dire - de la rentrée littéraire d’hiver. Les premiers articles tombent à parution. Deux semaines plus tard, l’auteur est invité à "La grande librairie". Entre-temps, les 10 000 exemplaires du 1er tirage ont déjà été épuisés. "C’est parti gros tout de suite, raconte Thierry Boizet. Nous avons donc réimprimé à 8 000 exemplaires, avec l’espoir de doubler la mise. Mais, très vite, nous avons dû procéder à un retirage de 10 000. Les suivants ont été de 20 ou 30 000. Au moment du pic de vente, fin mars début avril, il en sortait 25 000 par semaine."

Fidèle à la tradition maison, l’ouvrage est d’abord imprimé en feuilles (cousu) sur un papier ivoire fabriqué en Autriche. "Mais très vite, Floch, notre imprimeur, nous a convaincus que nous devions passer en roto et dos collé. Quant au papier, nous avons épuisé tous les stocks traînant en France en attendant le réapprovisionnement depuis l’usine autrichienne. Au total, nous n’avons connu que trois jours de rupture, mais beaucoup de sueurs froides." Surtout, après des années d’heureuse "routine", les Boizet (re)découvrent l’édition : "Etre éditeur d’un best-seller, c’est un autre métier, que nous avons dû apprendre sur le tas." Apprendre, par exemple, à gérer les cessions de droits. Devoir recruter quelqu’un pour s’occuper de l’auteur, réclamé partout (six mois de tournée à travers la France, et maintenant à l’étranger).

Bon pour le moral

L’aventure a engendré de bonnes surprises : "Beaucoup de libraires qui nous ont découverts à cette occasion nous suivent désormais ; nos ventes moyennes sont à la hausse, il y a un réel impact sur le catalogue." Mais aussi des déconvenues : "Pour d’autres libraires un peu snobs, au contraire, nous sommes devenus infréquentables depuis qu’un de nos livres s’est retrouvé en piles chez Auchan. En même temps, on peut les comprendre. Ils nous ont soutenus pendant des années et, tout à coup, ils se sentent dépossédés, trahis."

Mais la plus belle récompense, "c’est que nous avons remonté le moral de beaucoup de monde", explique Thierry Boizet : "Nous nous connaissons tous, entre petits éditeurs du même bord - Attila, Monsieur Toussaint Louverture, Le Tripode -, et ce qui nous est arrivé leur a fait plaisir. C’était la démonstration qu’un livre pouvait toujours se vendre sans grosse machinerie ni marketing." Pas question, d’ailleurs, de céder aux sirènes mercantiles. "Nous resterons une petite maison", promet Thierry Boizet. Avant Bojangles, Finitude publiait 12 titres par an, la jauge va même baisser à 7 ou 8 : "Maintenant que nous n’avons plus besoin de publier un titre par mois pour payer les charges, nous préférons publier moins de livres, mais mieux les accompagner." L’argent engrangé grâce à Bojangles servira comme "trésor de guerre", pour assurer à la maison "un avenir plus serein et quelques années de tranquillité".

 

Les dernières
actualités