La nouvelle, genre tristement mal aimé sous nos climats, est pourtant une forme idoine à exprimer certaines choses que ne permet pas une fiction longue. Proche de la poésie, elle exprime en effet plus qu’elle n’explique, elle est ce moment suspendu où la pensée volette vers un passé lointain, flotte dans un rêve contemporain, un désir inconscient. Fabrice Pataut, auteur de plusieurs romans dont Valet de trèfle (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), revient au texte bref avec Un jeudi parfait. Regret, jalousie, espérance, fantasme. Les 17 nouvelles qui composent ce nouveau livre plongent leur lecteur dans une atmosphère floue (un flou artistique réussi) faite de linéaments impressionnistes des personnages et de malignes ellipses du narrateur.
Si la forme brève a la vertu d’étirer l’instant en quelques pages, elle a encore, par effet de raccourci, un avantage sur l’écriture romanesque : la cruauté des chutes. Elle réduit une vie en une poignée de mots et l’abrège avec la violence du couperet. La nouvelle-titre a pour protagoniste Yvonne, qui va tous les jeudis voir Yves, son fils. Elle conduit jusqu’à l’endroit où ils s’entretiennent sur un rythme hebdomadaire. Cette fois, ce sera la dernière. Elle se sent trop vieille pour faire la route, elle est fatiguée, elle veut partir, se confie-t-elle au gardien, à qui elle fait un chèque pour la suite. Où est le fils ? Est-il dans une institution ? L’homme est le gardien d’un cimetière, qui partage avec la visiteuse la peine d’avoir eu un proche victime d’un accident de voiture : son épouse est en fauteuil ; le fils d’Yvonne, lui, n’aura pas survécu. Mort à 30 ans, cela faisait autant d’années qu’elle lui rendait visite.
Séance chez le psy où on découvre que le patient a tué sa mère, "promenade sentimentale" à Val-d’Isère où le narrateur se remémore un amour à la neige, conte oriental où un apostat a été sacrifié, confession en forme d’hommage à un camarade des jeunes années qui cueillait les baisers des filles et se laissait chasser par de mâles carnassiers. Un jeudi parfait, lié par une élégante écriture distanciée, montre un nuancier infini de vies parallèles, revécues dans le souvenir. Souvenir écran, l’écran sur lequel s’écrit la littérature même. Sean J. Rose