Essai/France 12 septembre Pierre Birnbaum

Pourquoi un historien opte-t-il pour telle période plutôt qu'une autre ? Choisit-il ou est-il choisi par son sujet d'étude ? Comment s'établit ce lien avec le passé ? Ces questions sont au cœur du nouveau livre de Pierre Birnbaum. L'historien et sociologue spécialiste de l'Etat adopte pour la première fois le « je », cet autre si encombrant qui supporte si mal la lumière après tant d'années dans l'ombre.

Muni de quelques documents photographiques et d'archives, il nous présente Jakob et Ruth Birnbaum nés en Pologne et en Allemagne, leurs enfants Pierre et Yvonne et Maria et Fabien, ceux qui les ont cachés pendant l'Occupation dans le village d'Omex dans les Hautes-Pyrénées. Avec une pudeur derrière laquelle on sent une force contenue, celui qui est aujourd'hui professeur émérite à l'université de Paris-1 Panthéon Sorbonne raconte sa résilience d'enfant caché né en 1940, de « Juif survivant » dans une France dévastée.

Il explique comment il devient lui-même objet d'histoire et finit par se passionner pour cette période. De cette enfance il se souvient peu, sauf les moments de terreur lors du passage des soldats. Vichy s'échappe ensuite de sa mémoire comme de la mémoire collective. Il faut le livre de Paxton en 1973 pour que le passé revienne comme un boomerang. Par son enseignement et ses travaux, Pierre Birnbaum entreprend sa reconstruction personnelle en cherchant à comprendre comment un Etat protecteur en vient à user de la force pour persécuter, traquer et tuer ses citoyens ?

Car c'est bien ce qui s'est déroulé pour sa famille. Vichy fut un Etat tout de même puisque servi par des politiciens, des juristes et des fonctionnaires. Mais il fut aussi une parenthèse qui permet de conserver l'honneur entre deux République. Pierre Birnbaum montre combien tout cela est complexe encore aujourd'hui. On voudrait croire que les « fous de la Républiques » - c'est le titre d'un de ses livres paru chez Fayard en 1992 -, ces Juifs d'Etat, n'ont plus rien à craindre. Mais peut-on encore être fou de l'Etat après Vichy ? C'est la grande interrogation de cet essai qui prend des airs de confession, dans cette façon de dévoiler pour mieux s'y inscrire « la trame si provisoire de la vie ».

Cette Leçon de Vichy est aussi une leçon de vie. Ce que nous apprend notre propre passé n'est jamais anodin. Il en va des secrets comme des évidences. C'est pourquoi l'historien est autant un enquêteur qu'un raconteur. Faire de l'histoire, c'est toute une histoire.

Pierre Birnbaum
La leçon de Vichy : une histoire personnelle
Seuil
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 20 euros ; 256 p.
ISBN: 9782021428117

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