Si l'on s'en tient au niveau global de l'activité, 2011 restera dans les annales de l'export comme une année plutôt terne. Après un bond en avant en 2010 (1), les ventes de livres français à l'étranger se sont tassées l'an dernier de 0,5 % d'après les statistiques douanières retraitées par la Centrale de l'édition (voir graphiques page suivante). Elles sont pourtant restées fixées au-dessus de la barre des 700 millions d'euros, passée un an plus tôt, à 701 millions d'euros, soit grosso modo un quart de l'activité de l'édition française. Et l'effritement de l'export se révèle finalement moindre que celui du marché du livre dans l'Hexagone, à - 1 % en 2011 d'après nos données Livres Hebdo/I + C.
On dirait le Sud
L'export doit d'abord sa résistance à de bonnes surprises dans les pays du sud. Au Maghreb (+ 3,8 % en 2011), les révolutions arabes ont conduit à une forte chute des ventes de livres français en Tunisie (- 24 %). Mais celle-ci est largement compensée par la bonne tenue du marché algérien (+ 1,5 %), et surtout par l'accélération de la croissance de l'activité de l'édition française au Maroc (+ 17,8 %), où elle a progressé de 69 % en cumul depuis 2000. Gagnant deux places au classement, le royaume chérifien s'impose désormais comme le cinquième client de l'édition française à l'étranger. De même, au Proche-Orient (+ 13,7 %), les ventes en Egypte (- 28,4 %) subissent le contrecoup de la crise qui a conduit au changement de régime. Mais les exportations continuent d'évoluer positivement au Liban, le principal acheteur de livres français dans la région (+ 1,5 %, et + 45 % en cumul depuis 2000), tandis qu'elles font un bond spectaculaire au Qatar (+ 597 %), propulsé au 32e rang des pays clients de l'édition française à l'étranger au moment où il défraie la chronique économique hexagonale.
En Afrique aussi, grâce aux prestations réalisées par l'édition française dans le cadre d'appels d'offres scolaires internationaux, le bilan est positif. Grâce au Togo, au Cameroun, au Gabon, au Congo, au Bénin ou encore à l'île Maurice, les exportations de livres français en Afrique francophone ont crû de 2,3 % malgré les contre-performances liées à l'instabilité politique de la Côte d'Ivoire (- 38,8 %) et du Sénégal (- 13,4 %). L'activité progresse également en Afrique non francophone (+ 4,7 %) et reprend spectaculairement en Haïti (+ 95,8 %) après le coup d'arrêt provoqué par le séisme de 2010.
Les exportations en 2011
Surprises en Amérique latine
Amérique latine aussi, les exportations françaises progressent, mais en se dispersant. Elles connaissent des revers sur les deux principaux marchés, le Brésil (- 6,8 %, mais tout de même encore + 2,8 % en moyenne lissée sur trois ans) et le Mexique (- 11,9 %, et - 8,4 % en moyenne lissée). En revanche, elles se développent presque partout ailleurs, et notamment en Colombie, au Chili, en Argentine, au Pérou ou encore au Costa-Rica. Dans ces pays, comme dans la plupart des autres pays du sous-continent, la croissance de l'activité se révèle durable pour l'instant, même si les niveaux d'activité restent faibles, avec pas plus de quelques centaines de milliers d'euros de chiffre d'affaires par pays.La Suisse résiste
Les évolutions sont plus décevantes dans les pays francophones développés. Malgré le renchérissement du franc suisse par rapport à l'euro, qui a provoqué, du fait du mode de calcul et du niveau de la tabelle, une hausse du prix des livres, l'activité est bien orientée sur les bords du Léman (+ 2,9 %). Les ventes sont aussi bonnes sur le petit marché luxembourgeois (+ 3,4 %). Mais en Belgique, premier marché de l'édition française à l'export, avec des ventes plus de deux fois supérieures à celles réalisées en Suisse, la chute est rude (- 5,9 %) même si, en moyenne lissée sur trois ans, la tendance reste positive (+ 2,9 %). Dans le même temps, les ventes stagnent au Canada (- 0,1 %) même si, là encore, la tendance demeure favorable (+ 2,5 %).
Déconvenues en Europe et aux Etats-Unis
D'une manière plus générale, le bilan des exportations françaises de livres en 2011 n'est pas très positif dans les pays développés. Dans l'Union européenne, les exportations vers l'Allemagne (+ 28,3 %) et l'Autriche (+ 50,9 %) connaissent un étonnant sursaut. Les ventes ont aussi été bonnes en Espagne (+ 1,4 %) et au Royaume-Uni (+ 4,9 %) et sont restées stables en Pologne (+ 0,3 %). Au contraire, elles se sont dégradées, parfois sévèrement, en Italie (- 7 %), aux Pays-Bas (- 20,6 %), au Portugal (- 31,6 %), en Finlande (- 25,5 %), et bien sûr en Grèce (- 18,4 %) et en Irlande (- 6,5 %) aussi bien qu'au Danemark (- 15,4 %). En dehors de l'Union européenne, le livre français recule aussi en Turquie (- 7,9 %, et - 2,6 % en moyenne lissée). Et s'il progresse en Europe centrale et orientale, c'est uniquement en raison d'une reprise des exportations vers la Russie (+ 17,9 %), principal client sur cette zone, dont il est trop tôt pour dire si elle sera durable ; et aussi d'une tendance favorable en Serbie (+ 38,8 %), un marché toutefois dix fois plus petit.
Aux Etats-Unis, en tout cas, la progression des ventes des livres français enregistrée en 2010 aura été de courte durée. Elle fait place en 2011 à une violente rechute (- 14,6 %).
Dégringolade en Asie
L'activité dégringole aussi en Asie et en Océanie (- 17,7 %). Certes, en dépit du tsunami de mars 2011 et de ses conséquences sociales et économiques, elle fait mieux que résister au Japon, premier client de l'édition française dans cette région du monde (+ 1,6 %). Les ventes sont également stables en Corée du Sud (+ 0,2 %) et bien orientées en Australie (+ 1,8 %), à Singapour (+ 17,6 %) et sur le marché plus restreint (439 000 euros) du Vietnam (+ 34,3 %). Mais elles subissent un très net repli en Chine (- 27 %) et à Hongkong (- 48,3 %), respectivement deuxième et troisième clients sur le continent, ainsi qu'à Taïwan (- 53,2 %), en Inde (- 44,3 %) et en Thaïlande (- 8,3 %).
Tendances structurelles
De fait, au-delà des hauts et des bas conjoncturels, l'activité exportatrice des éditeurs français continue de se concentrer sur les pays francophones. En raison, souligne le directeur général de la Centrale de l'édition, Olivier Aristide, dans sa présentation des données, de "l'érosion de l'apprentissage du français", de la "diminution de la demande d'ouvrages de référence en français de la part des bibliothèques et autres acheteurs publics", de la "forte concurrence d'Internet" ou encore de la "parité de change de l'euro trop forte par rapport aux autres monnaies", les pays francophones absorbent désormais 78 % de leurs ventes à l'étranger en valeur, contre 61 % en 2000. Tandis que la part des pays francophones du Nord (Belgique, Suisse, Canada, Luxembourg) dans les exportations françaises est passée de 52 % à 66 % en dix ans, celle de la francophonie du Sud (Maghreb, Afrique francophone, Liban, Haïti...) a progressé de 9 % à 12 %. Symétriquement, la part des pays non francophones, développés ou non, s'est littéralement effondrée puisqu'ils n'absorbent plus que 22 % des ventes de livres français à l'étranger, contre 39 % il y a dix ans.(1) Voir "Les bons comptes de l'export", LH 869, du 10.6.2011, p. 12-14.