On appelle ça une dystopie. C'est un truc d'enfant. De romancier, aussi. Qui répond à une question fondamentale : « et si ? ». Et si les choses n'avaient pas été ce qu'elles ont été ?
Justement Ian McEwan, qui n'est plus un enfant (71 ans), est un romancier. Avec Barnes, Amis, Ishiguro et peut-être deux ou trois autres, l'un des plus grands de sa génération en son pays qui n'en est pourtant pas avare. Il persiste à n'en avoir que pour les privilèges de la fiction. La preuve avec ce nouveau livre, Une machine comme moi, où il s'en donne à cœur joie.
Londres, 1982, donc. Pendant que les Beatles sortent dans une certaine indifférence critique leur nouvel album, et que le grand scientifique Alan Turing, qui vit tranquillement avec son compagnon de longue date ne cesse de faire avancer les recherches technologiques, le pays s'engage dans un conflit contre l'Argentine pour la possession des îles Malouines qui va s'avérer être un véritable désastre militaire, humain et moral qui aura à terme pour conséquence l'assassinat du Premier ministre et la tentation de la sortie de l'Union Européenne. Une dystopie, disions-nous.
Tout cela est certes loin de laisser indifférent, Charlie, 32 ans, boursicoteur à la petite semaine. Mais ce qui intéresse vraiment ce « garçon sans qualité », c'est, grâce notamment aux travaux de Turing sur l'Intelligence Artificielle, la création des vingt premiers androïdes. Il va faire l'achat (follement dispendieux) d'un : un homme, sensément plus ou moins de son âge, prénommé, bien entendu, Adam. Ce qui l'intéresse aussi, c'est sa voisine du dessus, Miranda, 26 ans, dont il cherche à faire la conquête et à qui il propose de l'aider à « programmer » Adam. Il parviendra à ses fins, mais sans doute même au-delà de ses souhaits puisqu'il devra bien vite laisser Adam partager aussi la couche de Miranda. Les ménages à trois, même avec un androïde, sont-ils pérennes ? La réponse est dans la question et finalement, personne n'y arrive très bien. Peut-être parce qu'il est une chose que l'on ne peut programmer, le mensonge, les sentiments, l'indécision du réel.
Il faut tout l'éclatant talent romanesque de McEwan pour sortir ce roman de l'ornière du livre à thèse ou à thème. Il y parvient comme toujours avec ses deux armes fatales, l'ironie et la noirceur. Voilà ce qu'il en coûte d'être Dieu ou romancier. Construire un ange.
Une machine comme moi - Traduit de l'anglais par France Camus-Pichon
Gallimard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 22 euros ; 400 p.
ISBN: 9782072849978