Il n'y a pas que les placards qui dissimulent des cadavres. Un simple fauteuil fait très bien l'affaire pourvu qu'on y glisse dans l'assise des documents avec des croix gammées. C'est ainsi que commence l'enquête de Daniel Lee. L'historien britannique est interrogé lors d'un dîner par une jeune femme dont la mère, vivant à Amsterdam, a découvert ces papiers par hasard. Le tapissier, furieux, ne veut pas réparer le siège ayant appartenu à un nazi, un nommé Robert Griesinger. Pendant cinq ans, dans plusieurs pays et sur deux continents, Daniel Lee cherche à savoir. Il apprend que l'homme a travaillé à la Gestapo de Stuttgart puis comme officier de la Wehrmacht à l'Est. Nous avons affaire non pas à un dignitaire nazi, mais à un bourreau « ordinaire ». C'est ce qui a motivé la recherche de Daniel Lee : comprendre le quotidien d'un nazi allait peut-être lui permettre de comprendre pourquoi cette idéologie avait pu s'installer dans la société allemande. La démarche rappelle quelque peu celle de Philippe Sands (voir critique dans ce numéro), mais le propos est différent, tout comme le style proche du polar. En tirant les fils de cette existence, il dévoile un jeune juriste de bonne famille devenu officier SS comme ceux décrit par Christian Ingrao dans son étude sur les intellectuels dans la machine de guerre nazie, Croire et détruire (Fayard, 2010).
Le père de Griesinger, originaire de La Nouvelle Orléans, était issu d'une famille esclavagiste. Daniel Lee raconte la fabrication d'un nazi dans une nation endeuillée après une Grande guerre à laquelle il n'a pas pris part. Un homme baigné par le nationalisme, le racisme et la haine de la République de Weimar comme ces nazis de second plan « ignorés par les historiens, oubliés ou même délibérément refoulés dans la mémoire de leurs descendants encore en vie. » Ce n'est pas le cas de deux filles de Griesinger qu'il retrouve et qui ne connaissaient rien du passé de leur père mort dans des conditions obscures en 1945.
Dans ce livre impeccablement maîtrisé, Daniel Lee combine tragédie familiale, histoire sociale et investigation. Il offre une « quête d'historien avec toutes les circonvolutions, les frustrations et les révélations qu'une telle entreprise peut supposer. » Notamment par un retour inattendu sur sa propre famille. Du grand art.
Le fauteuil de l'officier SS Traduit de l'anglais par Pierre Reignier
Liana Levi
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 23 € ; 416 p.
ISBN: 9791034903191