17 août > Roman France

Aurore Dessage est à bout. Styliste d’une petite marque de vêtements "made in France", elle est en désaccord avec son associé Fabian qui veut faire baisser les coûts en délocalisant. Hors de question de produire de la camelote, de surcroît grâce à l’exploitation de gosses sous-payés à l’étranger ! C’est la guerre civile au sein de la PME. Outre ce job d’entrepreneuse au bord du dépôt de bilan, elle cumule son rôle de mère de deux jeunes enfants et d’un adolescent, fils d’une précédente union de son mari Richard. Quant à ce dernier, un battant qui, lui, a réussi à développer sa boîte à l’international, il n’est attentif qu’aux matchs qu’il regarde à la télé. La fois où elle a bien tenté de se confier à lui, il a balayé la tentative de complainte d’un mutique revers de main, "un geste pire qu’une phrase, un geste qui signifiait, "Te prends pas la tête avec ça", un geste d’une condescendance glaciale qui la blessa profondément, un geste qui sous-entendait que de toute façon sa situation à lui les mettait à l’abri". En plus, ces deux corbeaux qui se sont nichés dans l’arbre de la cour, ça la fait flipper. Croisant le voisin d’en face, elle s’en était ouverte à lui. Le grand gaillard débonnaire - se moquait-il d’elle ? - disait qu’il s’agissait de corneilles, des bestioles qui s’attaquent à tout. Ce type de l’escalier C aussi était bizarre, une armoire à glace avec un sempiternel sourire aux lèvres. Elle l’avait vu l’autre jour courir sous une pluie battante vêtu d’un K-way et d’un short, indifférent à l’intempérie, tête nue.

Avec Repose-toi sur moi, Serge Joncour revient à ces thèmes de prédilection : le tiraillement entre retour aux sources - la campagne, métonymie bucolique d’une vie libérée des petits arrangements sociaux entre tartuffes urbains - et ouverture au monde qu’engendre toutefois l’effervescence citadine - l’esprit de clocher qui ressasse le passé a quelque chose de mortifère. Ludovic, le voisin de l’escalier C, a cédé l’exploitation agricole familiale à sa sœur et à ses neveux ; il espère ainsi tourner le dos à la ferme de l’enfance et au souvenir de la femme qu’il a perdue. A Paris, il travaille dans le recouvrement de dettes. A la campagne, il avait appris à tuer les corbeaux. Il débarrasse Aurore de sa phobie des corvidés, l’écoute, la séduit contre toute attente. Avec ce nouveau livre, l’auteur d’U. V. signe une anatomie de l’époque contemporaine - du Houellebecq sans férocité, de l’acuité mais tendre, du Joncour tout simplement, qui rime avec amour. Sean J. Rose

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