Nos vies blessées. Une jeune femme se brûle volontairement avec un four alors que sur son écran de télé une ancienne amie devenue écrivaine se livre à un grand numéro de narcissisme lors d'une émission littéraire. Une influenceuse célèbre cache à tous l'existence de son fils. Un homme part avec sa mère sur les traces de son grand-père psychiatre et d'un épisode demeuré secret de sa biographie, sa tentative de faire vivre un zoo non loin de la maison de santé dont il avait la charge. Dans une maison de vacances, un mari observe, navré, sa femme s'éloigner de lui et se rapprocher de son amant. Dans un bourg d'Île-de-France, une star oubliée de l'âge d'or du cinéma italien perd peu à peu la mémoire.

Voilà l'argument − et rien d'autre que cela puisque la vérité profonde de chacun de ces textes est toujours joliment hors champ − de cinq des dix nouvelles qui composent La part sauvage, le nouveau recueil d'Erwan Desplanques. Au fil des livres (quatre, dont le superbe L'Amérique derrière moi, à l'Olivier en 2019), Desplanques s'affirme comme l'un des plus honorables représentants, au même titre qu'un Arnaud Cathrine par exemple, d'une génération de romanciers et romancières mariant avec grâce le naturalisme à l'étrangeté du réel. C'est bien ce dont il est question ici dans chacune de ces histoires. D'une école du regard et de vies froissées. De comment faire encore communauté lorsque tout incline aux hautes cimes de la solitude. Au désordre du monde répond l'intranquillité manifeste de ceux qui s'efforcent de l'habiter le moins inharmonieusement possible. C'est une ode aux timides, aux discrets, à ceux qui n'en pensent pas moins, mais le gardent pour eux. À ceux qui pratiquent le pas de côté comme première discipline sportive. Desplanques observe les uns et les autres avec un regard juste et parfois tout de même aux frontières de la cruauté. « Je me faisais penser aux personnages du livre que j'avais emporté. Je me disais : ils sont pathétiques. Puis : je ne vaux pas mieux. J'aurais voulu être moins prévisible. Avoir l'énergie de corrompre mon propre scénario [...] mais ce n'est jamais évident de faire mieux qu'un livre. » Autant alors, en effet, en écrire un.