Bordeaux

Erri de Luca : "Plus qu'un droit, la parole contraire est un devoir"

Erri de Luca - Photo C. He?lie Gallimard

Erri de Luca : "Plus qu'un droit, la parole contraire est un devoir"

Inaugurant jeudi 9 avril au soir l'édition 2015 de l'Escale du livre, qui se tient jusqu'au 12 avril à Bordeaux, l'auteur italien accusé d'incitation au sabotage de la ligne TGV Lyon-Turin, a souligné la nécessité de son engagement.

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Par Marine Durand,
Créé le 10.04.2015 à 02h29 ,
Mis à jour le 13.04.2015 à 17h23

C'est par une rencontre plus que jamais placée sous le signe de la liberté d'expression que s'est ouverte, jeudi 9 avril à 21h, la 13e Escale du livre qui se déroule à Bordeaux jusqu'au 12 avril. Invité à défendre le "droit à la parole contraire", selon le titre de son dernier ouvrage publié le 8 janvier chez Gallimard, Erri de Luca s'est prêté pendant plus d'une heure au jeu des questions réponses avec le président de la manifestation bordelaise, Pierre Mazet, dans un Théâtre national de Bordeaux Aquitaine quasiment plein.

Poursuivi pour avoir soutenu publiquement le mouvement NO TAV, qui s'oppose au projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin, et accusé par la société franco-italienne LTF d'incitation au sabotage, l'écrivain italien risque l'emprisonnement. Jeudi soir, devant un public attentif, il ne s'est pourtant pas départi de son sens de l'humour, parsemant son intervention de répliques caustiques à l'égard de la justice italienne avec un sourire en coin et l'œil rieur.
 

Du juste emploi du mot "sabotage"
 
Rappelant en introduction les raisons de son opposition au projet de ligne Lyon-Turin ("c'est une ligne vide de passagers et de marchandises, non seulement inutile mais dangereuse pour la communauté du Val de Suse. La montagne à cet endroit est pleine d'amiante et d'un matériau radioactif. Les opposants ne se battent même pas pour leurs paysages, ils se battent pour leur vie"), Erri de Luca s'est ensuite attardé, non sans malice, sur le sens du mot « sabotage », prononcé lors d'une interview au Huffington Post italien en septembre 2013 et qui lui vaut aujourd'hui d'être incriminé. "C'est à vous, les Français, que l'on doit ce mot qui recouvre bien plus que la seule dégradation matérielle. Refuser d'appliquer une directive, faire valoir son droit de grève, c'est du sabotage. J'ai une idée claire et juste de ce que signifie "saboter", et je suis gré à votre langue de m'avoir offert un verbe si précis."
 
Refusant le qualificatif d'écrivain "engagé" ("je suis quelqu'un qui a pris des engagements qui s'imposaient"), Erri de Luca est revenu sur ses précédents combats, notamment auprès des pêcheurs de Lampedusa ayant "saboté" la loi italienne leur interdisant de porter secours au personnes en mer. "Aujourd'hui, ce qui m'occupe est mon procès concernant mon droit à la parole contraire", a indiqué l'auteur italien de 64 ans. "On prétend que mes mots ont produit des crimes. Mais peut-on imputer à un auteur les conséquences de ses textes ? Non jamais", a-t-il lancé , avant d'évoquer les cas de Salman Rushdie, dont les ouvrages ont entraîné de violentes manifestations dans le monde musulman, ou encore Les Souffrances du jeune Werther, de Goethe, ayant entraîné une vague de suicides en Europe à sa sortie. "Quand le juge a demandé au chef de la police, appelé comme témoin, s'il avait constaté une augmentation des actes de vandalisme contre le chantier à la suite de mes propos, il a répondu "non". J'étais presque déçu", a même plaisanté le natif de Naples. 


Ne jamais se censurer


Interrogé, enfin, sur le rôle de l'écrivain dans la société, Erri de Luca, qui a refusé de lier de quelque façon que ce soit son incrimination à son passé de révolutionnaire, a achevé son intervention sous une salve d'applaudissements avec une déclaration d'amour à la langue et à ses richesses. "Plus qu'un droit, l'écrivain a un devoir de parole contraire. Il est de mon devoir de ne pas me censurer, de ne pas censurer mes mots. Sinon, je gâche, je réduis, je maltraite mon vocabulaire, et je perds ma plus belle compagne : l'écriture."

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