« Ramenez le drap sur vos yeux/Entrez dans le rêve », chantait en 1984 le Français Gérard Manset, sur l'album Lumières. À ce moment-là, l'Américaine Patricia Lee Smith avait arrêté sa carrière, pour pouponner les deux enfants, Jackson et Jesse Paris, qu'elle avait eus avec son mari le guitariste Frederick Dewey Smith, alias Fred « Sonic » Smith, qui décédera prématurément en 1994. Après cela, et aussi après la mort de son frère et de son père adorés, Patti remontera sur les planches, et se lancera dans des activités diverses et intenses : albums, certes, mais aussi conférences et littérature. Depuis Just Kids (Denoël, 2010 ; nouvelle édition illustrée de photos, Gallimard, 2017), son chef-d'œuvre avec lequel elle a remporté le National Book Award 2010, elle est considérée comme un écrivain à part entière, une « Lady writer » pour paraphraser un titre de Dire Straits, et cela fait sa fierté. Patti Smith, comme Gérard Manset, est une artiste littéraire, une sorte de vagabonde aux bottes de vent, fan absolue d'Arthur Rimbaud et de la culture française. Elle bénéficie d'ailleurs d'un véritable culte en France.

Avec ce livre, que l'on peut classer dans le genre mi-fiction mi-autobiographie illustrée de photos (ses propres Polaroids) qu'elle affectionne, elle a décidé de retracer son "année du Singe". C'est l'année de son passage de 69 à 70 ans (elle est née à Chicago le 30 décembre 1946). Une année de voyages incessants, à travers les États-Unis : Californie, Tucson, Seattle, New York (où elle habite la majeure partie de son temps), Kentucky, puis Californie à nouveau. C'est une époque de concerts également, notamment au Fillmore de San Francisco, avec son complice de toujours Lenny Kaye, et en Australie, pour une mini-tournée. Elle donne même une conférence à Seattle sur l'importance des bibliothèques - car Patti Smith est une lectrice boulimique, et, toute jeune, c'est à la bibliothèque de son quartier qu'elle a commencé à se forger sa culture. Année du singe, année de deuils aussi : celui de l'ami poète et producteur Sandy Pearlman, victime d'une hémorragie cérébrale et tombé dans le coma, qui mourra sans avoir repris connaissance, et celui de l'écrivain Sam Shepard, son ami et ancien amant, à qui elle rend visite à plusieurs reprises afin de l'aider à achever l'un de ses deux derniers livres, The One Inside.

Comme souvent chez elle, tout se télescope, présent et passé, réalité et rêves, surtout. Son seul album durant ses années de retraite ne s'appelait-il pas Dream of Life (1988) ? La tonalité est grave, émouvante, mais jamais trop triste. Dans l'épilogue où elle salue ses chers disparus, consternée par la victoire à la présidentielle américaine d'un « escroc », qu'elle appelle « le pire d'entre nous », elle écrit néanmoins : « Je persiste à penser que quelque chose de merveilleux est sur le point de se produire. » Let it be.

Patti Smith
L'année du singe Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard
Gallimard
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 18 € ; 192 p.
ISBN: 9782072861031

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