Suivant sur toute la planète sa femme en mission pour des organisations humanitaires, Guy Delisle s’est fait connaître en tirant de ces expériences des chroniques dépassionnées, au ras du trottoir, de sa vie quotidienne à Shenzhen, à Pyongyang, en Birmanie ou à Jérusalem. Situé cette fois dans le Caucase, le nouveau récit du dessinateur québécois est conçu sur le même mode : la restitution d’événements du quotidien à travers un texte et un dessin très factuels, les plus neutres et les plus sobres possibles pour éviter toute interférence. Il s’agit toujours de faire ressentir "naturellement" au lecteur les caractéristiques des situations décrites et les émotions de leurs protagonistes comme s’il y était lui-même confronté. Mais cette fois, le dessinateur québécois ne restitue pas, comme dans ses précédents témoignages, ses propres observations. Il livre le récit de Christophe André qui, en 1997, travaillait depuis deux mois pour une ONG médicale à Nazran, en Ingouchie, lorsqu’il a été enlevé par un commando tchétchène qui l’a retenu pendant cent onze jours à Grozny.
Le jeune homme, dont c’était la première mission humanitaire, a vu surgir ses ravisseurs en pleine nuit. Poussé dans une voiture, il est rapidement emmené vers un premier lieu de détention - un appartement de la capitale tchétchène -, puis un deuxième. Face à des geôliers plus ou moins aimables, il se retrouve fondamentalement seul, passant son temps à espérer que la minute, l’heure, la journée, la semaine suivante sera celle de sa libération.
Une fois n’est pas coutume, le dessinateur travaille en couleurs. Il a opté pour une palette restreinte de teintes un peu éteintes : des bleus, des gris, des bruns qui dessinent un univers essentiellement nocturne et forcément limité. Mais Guy Delisle, c’est d’abord un trait. Fin, subtil, il s’épure à l’extrême pour représenter les quatre murs qui balisent l’espace dévolu à Christophe André, d’où seul émerge une porte… fermée. De ce huis clos solitaire, le dessinateur tire le maximum.
Fabrice Piault
