Entre ses deux voisins envahissants - tellement envahissants qu’ils l’ont occupée à plusieurs reprises… - la Corée des Trois Royaumes a peiné à s’imposer. Pour cela, elle s’est cherché des origines millénaires qui remonteraient à 2333 avant notre ère, s’est forgée au XVe siècle des caractères spécifiques - le hangeul - pour se libérer des sinogrammes et a fini par devenir une puissance économique incontournable en prenant pour modèle le Japon détesté tout en se rapprochant de la Chine encombrante, du moins pour la Corée du Sud. Car la Corée du Nord demeure toujours l’un des pires régimes staliniens, un "Etat-guérilla" que l’on regarde comme la Bordurie dans Tintin en oubliant que la majorité de la population y meurt de faim.
Samuel Guez - lui-même enfant coréen adopté dans les années 1970 - raconte la métamorphose de cette "crevette au milieu des baleines" avec une clarté exemplaire. Professeur à l’université de Genève, ce jeune historien parle couramment le chinois, le japonais et le coréen. Il montre comment cette péninsule a su trouver son équilibre entre l’empire du Soleil-Levant et l’empire du Milieu, malgré le conflit russo-japonais en 1905, puis la guerre froide qui aboutit à sa partition en 1953 après une lutte fratricide. Le pays du "Matin frais" au Ier siècle avant J.-C. est ainsi devenu celui du "Matin calme" au XXe siècle, tout un symbole de nuance bouddhiste et de continuité pour cette nation où la dynastie des Kim donna une trentaine de rois dans les temps anciens puis des dictateurs communistes.
Pour cette Corée du Sud, pays invité du prochain salon Livre Paris, il est intéressant de constater combien la culture - livres, cinéma, arts - reste essentielle pour la construction de cette identité que les Occidentaux n’ont véritablement commencé à découvrir qu’à la fin du XIXe siècle. Depuis son décollage économique dans les années 1970, ce territoire discret et fascinant s’est imposé aussi en matière d’éducation en monopolisant les premières places dans les classements internationaux. Reste la question de la réunification sur le modèle allemand à laquelle les Coréens, au Sud comme au Nord, ne cessent de penser. Elle risque de prendre du temps, prédit Samuel Guex, mais finalement moins pour des raisons politiques qu’économiques.
L. L.