C'est un épisode minuscule, mais authentique, dans la vie de Chateaubriand, qui lui a quand même inspiré une page de ses Mémoires d'outre-tombe, au « chapitre cinq du livre dixième », précise Jérôme Attal, qui a bossé son sujet à fond, avant de citer le passage. Enfermé de nuit dans l'abbaye de Westminster, François-René, qui n'est encore qu'un chevalier de 25 ans, a perçu l'impression fugace d'un baiser. Réalité, fantôme, courant d'air ? Une petite sonneuse de cloches, qui se trouvait là afin de remplacer, dans son office, son père souffrant, n'a pas pu (pas voulu ?) éclairer sa lanterne. Passons outre, dirait-on. Sauf que, chez un grand écrivain, rien n'est jamais anodin. Proust, grand admirateur et disciple de Chateaubriand, ne trouva-t-il pas toute la Recherche dans une tasse de camomille où il trempait sa madeleine ?

En ce temps-là, François-René habitait bien à Londres, où il s'était exilé, comme nombre d'autres aristocrates opposés à la Révolution française ou à ses excès. Il ne rentrera à Paris qu'en 1800. Après avoir « découvert » l'Amérique, il vivait dans une soupente miteuse du quartier de Marylebone.

Jérôme Attal mêle à cette histoire une seconde intrigue, contemporaine, racontée par un narrateur, un certain Joachim Stockholm. Celui-ci, après la mort en 2003 de son père, un universitaire éminent spécialiste de Marguerite Duras, a retrouvé dans ses papiers le brouillon d'un essai sur Chateaubriand et « ses » femmes : Lucile, Céleste, Juliette. Et une autre, inconnue : « la petite sonneuse de cloches ». De ce chapitre, inachevé, rien d'autre. Sa curiosité piquée, Joachim s'embarque pour Londres, sur les traces de Chateaubriand et de cette aventure, manière aussi de faire son deuil en achevant le travail de son père. Il sera aidé dans ses recherches par un certain Marin Maret, collègue du défunt, qui le guidera dans le dédale des bibliothèques, où patientent tant de secrets.

Jérôme Attal entremêle les deux histoires, et le lecteur suit avec bonheur cette enquête d'un genre inédit, laquelle va connaître bien des rebondissements. C'est érudit sans pesanteur, plein de clins d'œil comme on l'a vu. L'auteur revendique sa totale liberté d'inspiration, dans un bel élan d'enthousiasme communicatif pour la fiction. « Dès que j'écris,explique-t-il à la fin de son livre,je milite pour un monde où la magie opère. » Pari gagné, encore une fois. Quant au grand Chateaubriand,une fois devenu vicomte, écrivain illustre, diplomate, ministre, se souvenait-il encore de cette nuit à l'abbaye de Westminster, de Violet, la petite sonneuse de cloches, et de cetenglish kissqui l'avait tout chamboulé ? On est romantique ou on ne l'est pas.